Sartre underground

Il eût été inconvenant que Jean-Paul Sartre plastronne en photo sur un catalogue d’exposition ou dans le métro avec un mégot de cigarette à la main. Louons maintenant les grands hommes ! Dans son flux lacanien, c’est ici le juste retour de certaines pratiques staliniennes où la gomme à images redressa pour un temps le réel récalcitrant...

Le philosophe, dont on se plaît à répertorier les erreurs idéologiques, n’a donc jamais fumé de sa vie (pipe ou cigarette), voire utilisé d’autres substances peu recommandables. Il s’est contenté d’écouter vrombir les mouches, sous l’Occupation allemande, le soir de quelques représentations théâtrales.

Mais l’Histoire n’est pas figée : elle se doit d’être revisitée en fonction des modes et de la pensée politiquement, socialement et moralement correcte. Inutile de s’amuser à faire la liste de tous les écrivains fumeurs, buveurs et bambocheurs : à cette aune, aucun d’entre eux n’aurait désormais plus le droit à la représentation en vitrine de ses plaisirs non exemplaires ou de ses vices impunis.

Alors, gloire à Sartre de faire encore coulisser, pour notre édification, l’échafaud de la bienséance généralisée sur l’anticonformisme. Cet éclair biseauté aurait manqué, tout compte fait, au centenaire de sa naissance, célébré par la BnF et, de ce début de mois d’avril jusqu’au 9 mai, par France Culture !

Dominique Hasselmann

2 avril 2005
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