Un express en attendant Dada

Je suis le visage des yeux clos et du sommeil inconnu, j’ai la tête décapitée d’allégresse.

Francis Picabia, Dits, Eric Losfeld, Le Terrain Vague, 1960.

J’avais déjà pris en photo le café Dada, il y a maintenant quelque temps, c’était l’après-midi et la terrasse était bondée. Dans ce 17e arrondissement, la pente de l’avenue des Ternes y conduit naturellement le flâneur, après qu’il a franchi le tourniquet de l’Arc de Triomphe.

Mais il est étrange qu’un café se nomme Dada : il n’y a pas de « café surréaliste » à Paris depuis que le célèbre Cyrano a disparu. La prochaine exposition Dada au Centre Pompidou, qui durera plus de trois mois (du 5 octobre 2005 au 9 janvier 2006) devrait amener sans doute ici quelques clients supplémentaires !

Le comptoir du café est dressé à l’ancienne, sans que l’on puisse dire s’il date de 1916 et s’il est une sorte de clone de celui, présumé, du cabaret Voltaire à Zürich : des pilastres qui ressemblent à des cornets de glace soutiennent l’étroite bande où l’on peut tout à la fois appuyer et lever le coude.

Un étroit rayon de soleil, ce 21 septembre, traverse la salle à dominante rouge. Enfin un bar sans bruit autre que celui des verres qui se vident, des tasses d’express qui cliquettent sur leurs soucoupes, et des habitués qui se parlent. La vie est tranquille, ce matin.

En sortant, on aperçoit la mise en place à la Fnac toute proche d’une exposition de photos de Brassaï (on me laisse passer sous la bande de plastique rouge et blanche qui interdit l’accès pour le moment aux visiteurs), avec leur fameux noir et blanc, cette vue en plongée d’une rue depuis un « hôtel de passe », ces instants de vie qui ont franchi la dernière étape, celle du « bain d’arrêt », comme dirait l’écrivain Alain Fleischer, avant le fixateur ultime.

Dada va donc faire galoper du monde (la manifestation bénéficie du mécénat du groupe PPR et du « soutien » d’Yves Saint-Laurent), et nombreux seront ceux qui découvriront alors l’audace, l’excentricité, l’invention, l’engouement de la destruction, la fébrilité de la création, le déchiffrage, le décryptage des zones vierges de la poésie, de la littérature, de la peinture, de la musique par un groupe de joyeux drilles, d’illuminés au sens littéral du terme, de poètes et d’artistes déjà savants ou tellement impatients de savoir...

Dans la rue Poncelet, une pâtisserie fait immanquablement penser, par son enseigne, à l’extraordinaire mélange de nationalités qui présida au mouvement Dada, véritable explosante-fixe, pour reprendre le titre d’une œuvre de Pierre Boulez, au cœur de la première guerre mondiale.

L’affiche qui annonce l’événement dadaïste proche, une simple liste de noms en gymkhana, est à lire sur écran plutôt que sur la toile accrochée sur le Centre Pompidou, en regard du café Beaubourg : Tristan Tzara, Man Ray, André Breton, Max Ernst, Otto Dix, Hans Richter, Francis Picabia, Erik Satie, Hugo Ball, Raoul Hausmann, John Heartfield, Marcel Janco, Kurt Schwitters...

Impression bizarre, cependant, de connaître comme par avance un peu de ce que cette exposition va révéler ; et puis, pourtant, la certitude surtout des éclairs retrouvés d’un mouvement qui dépasseront, avec facilité et légèreté, son ligotage dans le grand paquebot rouge et bleu du musée : ascension musicale, spirale de l’inédit, aspiration des sens, tourbillon toujours entraînant malgré les années.

Dada est vivant dans le surréalisme qui est lui-même vivant de manière souterrraine ... : aucune exposition ne saurait par conséquent être son tombeau, sauf s’il s’agit bel et bien - on le verra et l’entendra - d’un hommage artistique, celui de la flamme au bout souffré de l’allumette.

Je chante plus vite que sur le cœur le roulement de la grêle
et angoissée frémit la paupière du matin
ventouse agrippée à la chair frénétique de l’année

Tristan Tzara, L’Homme approximatif,1925-1930 (Poésie/Gallimard, 1968).

Quelques éclats :

http://www.cnac-gp.fr/Pompidou/Manifs.nsf/AllExpositions/9F43A653A3897921C1256EBD00476011?OpenDocument&sessionM=2.2.2&L=1
http://www.ircam.fr/99.html?event=314
http://www.dadart.com/dadaisme/dada/010-dada-exposition.html
http://home.nordnet.fr/ jgrosse/obs/dadaisme.htm#D

Dominique Hasselmann

22 septembre 2005
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