Anne Sexton | Imitations de noyade





Tu vis ou tu meurs, œuvres poétiques (1960-1969), qui vient de paraître aux Editions des Femmes, rassemble quatre des onze recueils de poésie d’Anne Sexton (1928-1974), figure majeure de la poésie américaine du XXème siècle, dans une traduction de Sabine Huynh, accompagnés d’une préface de Patricia Godi.

Pour accompagner et saluer cette parution, nous publions le poème Imitations de noyade, dans la traduction de Sabine Huynh, accompagné du texte original (paru dans The complete poems, First Mariner Book edition, Houghton Mifflin Company, Boston, New York, 1999). [Remerciements à Sabine Huynh.]


IMITATIONS DE NOYADE

La peur
de la noyade,
la peur d’être aussi seule,
m’a contrainte à conclure un marché
comme si débourser
me sortirait d’affaire
et cela a fonctionné pendant deux ans
et tout un mois de juillet.

En août dernier j’ai commencé à rêver que je me noyais. L’agonie
n’en finissait pas dans de l’eau aussi pure et limpide
que le gin que je bois chaque jour à cinq heures et demie.
Durant l’ultime descente, le dernier souffle mensonger,
je lutte contre des anguilles me ligotant – c’est de l’éther, c’est bizarre
puis c’est enfin terminé. Maintenant les charognards arrivent,
ceux qui rampent et viennent nettoyer le fond de l’océan.
Et la mort, cette vieille bouchère, ne m’importunera plus.

Je
n’ai jamais
fait ce rêve auparavant
sauf les deux fois où mes parents
s’accrochaient à des radeaux
et s’asseyaient ensemble pour mourir,
glacés,
comme des photos obscènes.

Qui écoute les rêves ? À peine des symboles de quelque chose
– l’argent pour le psychiatre ou la perruque de ta mère,
le bras que j’ai failli perdre dans l’essoreuse,
suivant la peur jusqu’au bout, en tirant sur la vieille ficelle.
Mais la vraie noyade est réservée à d’autres. Elle est trop énorme
pour que tu la portes exprès à ta bouche, elle plante des dards brûlants
dans ta langue et met du vomi dans ton nez pendant que tes poumons éclatent.
Chienne mouillée balancée par une telle jongleuse, tu meurs éveillée.

La peur,
un moteur,
me vide en me faisant tourner en rond
jusqu’à ce que je m’efface lentement
et que la foule rie.
Je disparais, cycliste âgée
dont la performance est mesurée
dans des graphiques d’actuaires.

Ce weekend les journaux étaient noircis par les accidents
de la nouvelle autoroute et à Boston l’étrangleur a trouvé une nouvelle victime
et nous étions tous à Truro occupés à boire des bières et à signer des chèques.
Les autres ont surfé de vague en vague, gouvernant les radeaux comme des traîneaux.
J’ai nagé – mais la marée est montée comme dix mille orgasmes.
J’ai nagé – mais les vagues étaient plus hautes que l’échine d’un cheval.
J’étais enfermée dans ce placard, jusqu’à ce que je morde la porte
et qu’ils me traînent dehors, mon urine dégoulinant sur le rivage granuleux.

Respire !
Et tu sauras...
fourmi dans une casserole de chocolat,
il bout
tu es submergée.
Il n’y a rien de nouveau dans la peur
mais à la fin c’est la peur
qui te noie.

Septembre 1962

Anne Sexton, Tu vis ou tu meurs – Œuvres poétiques (1960-1969), éditions Des Femmes - Antoinette Fouque, Paris, 2022. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Sabine Huynh.





IMITATIONS OF DROWNING

Fear
of drowning,
fear of being that alone,
kept me busy making a deal
as if I could buy
my way out of it
and it worked for two years
and all of July.

This August I began to dream of drowning. The dying
went on and on in water as white and clear
as the gin I drink each day at half-past five.
Going down for the last time, the last breath lying,
I grapple with eels like ropes — it’s ether, it’s queer
and then, at last, it’s done. Now the scavengers arrive,
the hard crawlers who come to clean up the ocean floor.
And death, that old butcher, will bother me no more.

I
had never
had this dream before
except twice when my parents
clung to rafts
and sat together for death,
frozen
like lewd photographs.

Who listens to dreams ? Only symbols for something —
like money for the analyst or your mother’s wig,
the arm I almost lost in the washroom wringer,
following fear to its core, tugging the old string.
But real drowning is for someone else. It’s too big
to put in your mouth on purpose, it puts hot stingers
in your tongue and vomit in your nose as your lungs break.
Tossed like a wet dog by that juggler, you die awake.

Fear,
a motor,
pumps me around and around
until I fade slowly
and the crowd laughs.
I fade out, an old bicycle rider
whose odds are measured
in actuary graphs.

This weekend the papers were black with the new highway
fatalities and in Boston the strangler found another victim
and we were all in Truro drinking beer and writing checks.
The others rode the surf, commanding rafts like sleighs.
I swam — but the tide came in like ten thousand orgasms.
I swam — but the waves were higher than horses’ necks.
I was shut up in that closet, until, biting the door,
they dragged me out, dribbling urine on the gritty shore.

Breathe !
And you’ll know . . .
an ant in a pot of chocolate,
it boils
and surrounds you.
There is no news in fear
but in the end it’s fear
that drowns you.

September 1962

Anne Sexton, The Complete Poems, First Mariner Book edition, Houghton Mifflin Company, Boston, New York, 1999.

27 janvier 2022
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