Véronique Pittolo / Opéra isotherme

Véronique Pittolo Opéra isotherme (al dante, 2005)

L’opéra àtempérature constante, sans bouffées de chaleur et sans banquise ?

C’est en tout cas un drôle de regard interne (interné) sur la
physio-psychologie du chanteur que propose le livre de Véronique Pittolo.
Son Siegfried toujours de bonne volonté ("J’ai été Siegfried cinquante fois
avec des costumes différents"), ses Pelléas/Mélisande mathématiques ("Le
volume Pelléas/Mélisande comporte tous les degrés nécessaires de molécules
consentantes (rapport simple et entier pendant une durée minimum d’une
seconde)"), sa magnifique et hilarante Callas, qu’on lit le coeur serré, et
qui rappelle le portrait inouï et confondant de densité de Marylin Monroe,
publié dans "Gary Cooper ne lisait pas de livres" (al dante, 2004). Pittolo
nettoie avec une infinie délicatesse et une fermeté non moins certaine la
vedette, comme si, trente ans plus tard, le Elvis Presley d’anthologie de
Saviztkaya ("Un jeune homme trop gros", éd. de minuit, 1977), encore
descendu d’un étage et sous bulle isotherme, continuait àpeiner dans son
effort d’adhésion àun monde échappé dans le cosmos pour toujours.

Nathalie Quintane.


présentation de Opéra isotherme sur le site de Al Dante :

Une excursion ludique dans les coulisses de l’opéra.
3 figures légendaires "Siegfried, Mélisande, et la Callas" affectueusement démythifiées au milieu de leurs décors en carton-pâte : faussement naïve, avec une minutie patiente et malicieuse, Véronique Pittolo démonte les rouages du spectacle et en transpose l’inexplicable charme dans de courts textes humoristiques et poétiques.

L’art poétique de Véronique Pittolo procède du fragile équilibre entre deux principes apparemment inconciliables : « L’élément original provient de l’absence totale de réalisme dans un univers entièrement composé  » mais, en même temps, « Que l’action se situe dans une région imaginaire n’empêche pas le réalisme de la description  ».
Lorsqu’elle évoque l’opéra, Véronique Pittolo en scrute certains protagonistes, des éléments du décors, des timbres de voix. L’univers spectaculaire qu’elle donne àvoir n’est pas l’impressionnant ensemble de machines, de décors écrasants et de voix imposantes souvent attachés àl’idée que l’on se fait de l’« opéra  ». Au contraire, c’est la complexité des personnages, le grain d’une voix, la nuance d’une mélodie, la subtilité d’un rôle que l’écrivain parvient àextraire et àmettre en avant. Pour cela, elle s’attache àd’infimes détails, cernant les impressions des comédiens en même temps que les sentiments de leurs personnages, l’endroit où se nouent le réel et le jeu, et où se mêlent, tant bien que mal, l’interprète et son rôle.
L’écriture de Véronique Pittolo saisit les nuances de cet entre-deux mondes (entre la fiction et le réel, entre le pays des dragons, des « Nibelungen  », et les lustres qui éclairent la scène) en mêlant habilement légèreté et profondeur, en fixant tour àtour les détails les plus réalistes 1 la mimique d’un chanteur, la forme de sa bouche 1 et les précisions les plus imagées. Grave et attentif, le regard porté par l’écrivain cerne les points d’où l’émotion semble sourdre, jouant parfois du contraste entre humour et sérieux, description malicieuse et échappée vers l’imaginaire. Ce décalage est présent dans le titre même : « Opéra  » annonce la grande musique, les riches costumes et les fards colorés, tandis que le mot « isotherme  » tend vers le confiné, les sensations moyennes et mitigées. « Isotherme  » : Qui se produit àtempérature constante. Qui comporte une isolation thermique. Sac isotherme pour produits surgelés. Mais il ne s’agit pas pour Véronique Pittolo de proposer des plats réchauffés. « Opéra isotherme  », loin d’être tiède et sans saveurs, en offre une palette riche et équilibrée : la température égale est celle d’une passion maintenue, contenue pour que n’en ressortent que les touches les plus délicates, les envoà»tants détails qui, sans de telles précautions, risqueraient d’être noyés sous les effets, la masse des décors et la grandiloquence. Si l’opéra de Véronique Pittolo impressionne, c’est en douceur, en insinuant tel un charme les éléments les moins réalistes et néanmoins les plus vrais, les plus troublants 1 de la nuance avant toute chose.

8 avril 2005
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