Comme un mendiant sur les quais de marbre

Son quotidien s’éclaire quand le nom, la personnalité et l’itinéraire d’Arthur Rimbaud sont évoqués en cours par le professeur de français. D’emblée, la fougue, la liberté et l’esprit de révolte de "l’homme aux semelles de vent" lui parlent. Il ne l’a pas encore vraiment lu mais il le place immédiatement très haut au firmament des poètes. Loin devant Baudelaire qu’un autre ado, qu’il déteste (pas uniquement pour ses préférences littéraires), encense dès qu’il en a l’occasion.
Peu à peu, les deux gamins, jeunes coqs à peine âgés de quinze ans, le beau gosse et le rimbaldien aux cheveux ras et aux oreilles décollées, attirés par la même collégienne, vont se prendre le bec, en venir aux mains et porter leur rivalité jusqu’à l’excès, jusqu’à ce que celui qui s’est récemment attribué un second prénom (Arthur) sorte un couteau à longue lame pour poignarder l’autre. La scène a lieu à l’abri des regards, au fond d’un parc.
« On se dit que celui qu’a commis cette saloperie doit être un infâme jaloux doublé d’une sombre crapule, c’est ce que les flics ont déduit, drame de la jalousie, même si entre jeunes c’est pas si fréquent, les haines d’écoliers ça finit plutôt en coquarts, en oreilles froissées et en lèvres fendues, pas en meurtre et dans le sang. »
L’élève, qui a peut-être bêtement espéré devenir "le grand criminel, le grand maudit" mentionné par son maître dans la Lettre du voyant, s’est évaporé. Reste à le retrouver et à essayer de comprendre son geste. Pour y parvenir, Raymond Penblanc donne la parole à sept protagonistes plus un (la victime) qui reviennent, à tour de rôle, sur le profil plutôt inquiétant de l’ado perturbé qu’ils ont côtoyé. Ainsi s’expriment le professeur, la conseillère d’éducation, la camarade de classe, la mère et, après le meurtre, l’automobiliste qui l’a pris en stop et l’épicière chez qui il remplit son sac à dos. Le gardien du parc, qui a fait la macabre découverte, intervient également.
Le procédé mis en place par l’écrivain est très efficace. En de courts chapitres, les témoignages se succèdent et la personnalité d’un être sensible, buté et emprunté, livré à lui-même, sans repères affectifs, apparaît au grand jour.
« S’il continue comme ça il va finir par affoler tout le monde. Il en fait trop. Quand il rit il rit trop fort, quand il parle il parle trop vite, quand il se déplace il s’agite il gesticule, quand il se tait il bouffe sa langue, quand il écoute il siphonne les mots, quand il me fixe comme il me fixe avec ces yeux fous il me fout la gerbe ».
Ainsi s’exprime sa camarade de classe. À la fin du roman, on sait que l’ado en cavale – qui ne se cache pas vraiment – n’a aucune chance de s’en sortir. Sur le point d’être appréhendé, il aura bientôt beaucoup de temps (des années entières) devant lui pour découvrir l’œuvre d’Arthur Rimbaud.
Raymond Penblanc : Comme un mendiant sur les quais de marbre, Éditions Lunatique.