Comme une promesse abandonnée

« S’attardent en nous des détresses silencieuses », Mireille Fargier-Caruso


« On ne possède rien, jamais, / qu’un peu de temps ». Choisir d’ouvrir son livre avec cette citation de Guillevic n’a rien d’anodin. C’est ce que l’on met dans ce « peu de temps », sachant qu’on ne maîtrise pas grand chose, et ce qui reste au bout du compte, de bon ou de négatif, qu’interroge Mireille Fargier-Caruso. Elle le fait avec humilité et inquiétude. Le monde meilleur qu’elle (comme tant d’autres) espérait voir venir a bel et bien laissé place à un autre, tout aussi dur que ceux qui l’ont précédé. Le constater ne veut pas dire qu’elle baisse les bras.

« Malgré les gestes ankylosés
les balafres
le noir
la boue
ne pas toucher le fond »

Elle garde les idées claires et l’esprit ouvert à ce qui, au détour d’un regard, d’un paysage, d’une information, d’une rencontre, d’un rappel de mémoire, peut faire naître le poème. Le désir de goûter pleinement tout instant donné (ou gagné) qui surgit à l’improviste devient un réflexe vital. Elle s’y appuie. S’attache à garder intacts des moments fondateurs, des faits précis, dont certains liés à l’enfance, qui résistent au temps et aident à mieux vivre au présent. Les années passant, s’empilant, elle sent que le corps s’érode lui aussi. Pas assez cependant pour entamer son énergie. Celle-ci est un précieux antidote au désarroi.

« il nous faut vivre avec ses failles
chercher dans nos voyages des indices
pour avoir raison d’espérer »

Si Mireille Fargier-Caruso essaie de ne pas se laisser submerger par le réel, elle n’en reste pas moins effarée par l’inhumain qui gagne. Elle le dit avec ses mots. Avec précision et sans emphase. Elle sait qu’ils ne suffisent pas et qu’il y a sans doute de l’impuissance a, simplement, constater. Mais noter, dénoncer, poser des textes qui s’ouvrent et questionnent les sens en assurant que rien n’est inéluctable (« l’espoir rebondit toujours ») est aussi une façon de résister.


Mireille Fargier-Caruso : Comme une promesse abandonnée, éditions Bruno Doucey

Jacques Josse

10 juillet 2019
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