Dominique Sorrente | Halilintar, tube tonnerre

Tube tonnerre
à masque de tortue.

Ventre ouvert vers le ciel.

Et le corps amaigri d’une tige en métal
qui se dandine à volonté,
et la peau de membrane
qui touche à tout
et touche à rien, digital tapotage...

Tube tonnerre
résonne.

Résonne.

Résonne encore.

Où est le monstre ?, tu dis
quand boîtier de cylindre
se fait couloir de résonance.

Où remue toi, le monstre ?
quand pivote le poignet du monde.

J’ai vu.
J’ai vu
le ressort métallique qui se tend
à sa page d’écrire
à même l’air,
Zig-zag déclame, zig-zag déclame, zig-zag déclame.
J’ai vu le bruit quand il file vers le haut.

J’ai vu en toi
mon carnet de débris,
ma vie
froissée.

Quel est cet instrument
qui arraisonne l’air en fuite, 
qui déraisonne l’instant fauve ?

Dans toute l’immensité du monde,
le silence est sans bord, percé de toutes parts.
Mangé, envahi, dérouté, dépecé,
Silence hors le droit de cité.
Silence, zone à défendre, nous
n’avons plus aucun
abri pour le sans-bruit, la
traque des logosphères
est sans pitié pour le verbe muet et pour la phrase bègue,
pour les mots qui claudiquent, et les voix de taiseux.
Silence, zone à défendre dans les replis
des parleries automatiques, silence était son nom
de pierre à feu...

Et toi, halilintar,
le gentil monstre chaud,
sentinelle du creux,

tu gardes.

Tu te souviens de la tortue,
de l’amphibienne passerelle entre terre et mer,
des îles Tanimbar où jamais je n’irai,

tu gardes,
même au repos
le sanctuaire du vide.

Et toi, halilintar,
une fois encore
tu retournes l’écho
vers sa première voix.

Le feu secret de toute chose.

Halilintar, tu souffles ?

Halilintar, tu entends ?

Tu entends quand je te réponds ?
Tu entends quand je frotte mes yeux à tout ce qui m’échappe,
quand je zigzague dans ma salive
à faire pencher mon attente amoureuse,
à me perdre dans l’innombrable ?

Halilintar, à ta vie de cylindre.
Il te suffisait de si peu,
en ce temps-là,
une forme enveloppe et la pointe collée
à la membrane du monde sourd,
comme le fil informulé qui pendouille imbécile heureux,
prompt à se tendre si deux doigts l’agrippent,
ça vous rappelle quelque chose,
n’est-ce pas, du côté de chez sexe,
on en sourit, métaphore ridicule,
mais lui, tout occupé à plus que lui désormais
s’en moque et s’étire et se noue,
rythme broyé entre les bouts friables, n’arrive pas encore
à donner son et sens, direction,

Et puis, la peau.

Halilintar, et puis le souffle, aspiré des failles marines
où nous vivions avant de devenir des algues
et d’accoster
en mousses.

Halilintar, et puis le geste
qui brinquebale, se heurte, accède, se renverse,
défait, oblique, incarcère et démonte,
claque, se ratatine, ondule, roule...

Halilintar, calmos.
Entre dans ton ralenti.

Passe en revue ton nom, vieux souverain déchu,
aux ailes en passe d’un des derniers envols.
Qui appelle en retard.
Qui la nuit sur la route effarée.
Qui dans la main vous chauffe
et déjà rapproche les braises.

Qui entre dans le coquillage muet
De toute chose rencontrée.

Le bruitage griffu, l’odeur nue des branches soumises,
La consomption à l’œuvre
dans la quiétude.

Halilintar sursaut, effroi de paille
emporté par violence.

Voyelles surnageantes.
À bientôt nuit
sans le raccord maniaque des récits.
Nuit, tout à côté,
à te voir, te revoir, te voir, te revoir,

et comment l’âme se déchire,
et pourquoi le vent tourne,
poème qui repose
dans la fascination des flammes.

Et regarde le feu qui n’en fait qu’à ses flammes.
Joue en enfant joueur,
entre les dos et les joues,
joue la ferveur du débarqué !

Tu me parcours quand je récite la vie
si compliquée que nous menions.
Et tu me simplifies
avec tes hoquets.
L’imprévu au ventre, le grand
verre de l’éclat de rire
au front.

Halilintar, tu cingles.
Ton vent ne tiendra plus le compte des prières.
Tu cingles, sans ménagement pour la tourne effarée
des papillons de nuit.
Je veux bien après tout
que tu cingles, si c’est comme ainsi fait
après tout,
une vie en fusion prête à la braise,
dans le chapitre du feu sans nom,
après tout.

Quand le cœur glisse au bois dormant,
que reste-t-il à peine ?
La cendre familière,
l’incendie des déchirures tronquées,
à peine, on se retourne, à peine on laisse faire,

alors à goût sauvage
après tous les livres avalés,
cette pulpe en écorce d’orange, ce talisman
qui enrôle les jours heureux
aux bras ballants

d’où vient que je porte en moi ce charbonneux allant de vivre.

Je sais peut-être.
Je ne toucherai jamais ta maison, ta cavité-cylindre
qui se dérobe dans ses riens,
Je ne suis là qu’à t’enrouler dans mes doigts qui tâtonnent,
à m’appareiller à ton tunnel clos de sauvetage,

je dérive,
et si mes bras balancent pour produire leurs imperceptibles bruitages, c’est un peu pour faire lever
comme
dans le difficile du temps.

Toi, tu dis non aux exactions de l’insensé
et tu t’enroules l’instant d’après
dans l’inconnu.

Tu sais tout ce qui m’assaille, mon ami d’égratignures
et
de reflets.

Peut-être au fond,
n’y-a-t-il rien dans ta carcasse
qu’une conque,
une tombée du jour inconnaissable,
mais du moins avec toi le monde n’a plus de tête,
plus d’estuaires minéraux, plus de caches de chambres.

Peut-être n’y-a-t-il rien en toi
qu’un enfant qui court dans la langue de bois
avec des allumettes
pour enflammer le monde.
L’enfant à tue-tête qui chante : j’ai
dans la bouche le plus précieux des biens
.

Avant le grand
retournement.

23 avril 2022
T T+