Entre fiction et document

Emmanuelle Favier est en résidence au Pays de Nemours, qui accueille le musée de Préhistoire d’Île-de-France. Elle écrit une pièce de théâtre mettant en scène le fondateur de l’ethnologie préhistorique, André Leroi-Gourhan.


Comment, au départ, est venue l’idée de cette résidence ?

D’une rencontre avec Valérie Petit, responsable du développement culturel à la médiathèque de Seine-et-Marne. Elle m’a parlé d’une résidence au musée de Préhistoire de Nemours, et il se trouve que je commençais justement, à ce moment-là, à m’intéresser à l’archéologie dans le cadre de l’écriture d’un roman (La Part des cendres). Nos envies se sont rencontrées au bon endroit, au bon moment !

Aviez-vous déjà travaillé à partir de documents ? Quelle importance la démarche documentaire prend-elle dans l’élaboration de vos textes, romans ou pièces de théâtre ?

Je travaille essentiellement à partir de documents. Que ma thématique emprunte à l’Histoire (La Part des cendres, Le Livre de Rose, L’Œil d’Artemisia…), à l’histoire littéraire (Virginia, Les Funérailles de Roberto Bolaño…) ou à l’anthropologie (Le courage qu’il faut aux rivières), les documents et les faits qu’ils retracent constituent le plancher sur lequel je m’appuie pour construire mon édifice romanesque. Ils m’inspirent et, sans doute, me rassurent aussi…

Tout l’enjeu réside ensuite dans l’endroit où l’on place le curseur entre la fiction et le document. Jouer avec ce curseur devient, dès lors, le processus de création littéraire lui-même. Par ailleurs, le goût d’apprendre et la curiosité sont au cœur de cette démarche, qui implique un énorme travail de recherche en amont et bien souvent tout au long de l’écriture elle-même. J’ai probablement une vocation de chercheuse contrariée ! Surtout j’ai acquis, lors de mes études littéraires et de la rédaction de ma thèse de doctorat, un certain nombre de réflexes et de méthodes qui me servent aujourd’hui énormément dans mon travail littéraire.

Quels types de documents vous intéressent ici ?

Dans ce cas précis, j’essaie surtout de comprendre des méthodes, des environnements, des logiques de recherche. Je ne travaille pas sur des archives comme dans mes précédents romans, mais sur des terrains physiques. Je pourrais vous répondre que mes documents sont des squelettes ou des cailloux, mais en réalité mes documents sont surtout les personnes qui fouillent pour les trouver… C’est essentiellement par le biais d’entretiens que je trouve l’inspiration, en réalité.

Que vous permet cette résidence pour construire et affiner votre projet sur l’ethnologie préhistorique, son fondateur et ses acteurs ?

Elle me donne, naturellement, le temps matériel de m’y plonger. Surtout, j’ai la chance de pouvoir bénéficier des ressources du musée, en termes de collections et de documents, mais plus encore en termes de personnes. Je suis extrêmement bien guidée dans mon travail par les équipes du musée, à commencer par Jean-Luc Rieu qui est responsable du service des publics, mais qui est surtout un archéologue de terrain, un homme de grand savoir et un pédagogue hors pair. J’en profite pour signaler que je suis merveilleusement accompagnée par tous les partenaires de cette résidence, et notamment par la Communauté de communes du Pays de Nemours, représentée par Corinne Lorentz, qui porte le projet avec beaucoup d’engagement.

Cette expérience au long terme change-t-elle votre manière de vous documenter et d’utiliser ces ressources ?

C’est un peu tôt pour le savoir… Je dirais plutôt que chaque thématique ayant ses exigences et ses particularités, chaque milieu ses fonctionnements, l’expérience est toujours différente et qu’il faut réinventer de nouvelles méthodes à chaque fois. Il faut du temps, beaucoup de temps pour comprendre un environnement inconnu. Mais au-delà des méthodes, ce sont des codes et des langages qu’il faut acquérir. Ce sont, surtout, des rencontres ; lesquelles vous modifient chaque fois en profondeur.

Comment procédez-vous lors des ateliers d’écriture avec l’utilisation de documents ?

La durée d’un atelier permet rarement d’inclure la recherche documentaire ; mais quand cela arrive, par exemple lors de cycles ayant pour objectif d’écrire une nouvelle à partir de faits historiques, je laisse les participants développer leurs propres méthodes de recherche entre les séances, tout en les aiguillant s’ils en ont besoin. Mon rôle sera surtout de les accompagner dans le travail d’élaboration littéraire à partir du document. Je les aide à trouver cette position du curseur dont je parlais plus haut. Je leur transmets la démarche qui est la mienne.

En revanche, lorsqu’il s’agit de séances ponctuelles, il arrive souvent que je leur fournisse un document, généralement une image mais ce peut être un texte, voire un son, qui va fonctionner comme déclencheur et support de l’imaginaire. On ne crée jamais à partir de rien. Ce qui m’intéresse est d’explorer la manière dont chacun, à partir d’une source identique, s’approprie un matériau pour y projeter son propre monde intérieur.

T T+