Fais le détour !
J’anime depuis février un atelier d’écriture auprès d’une classe de première STMG avec ma complice Nathalie Broux, leur professeure de français.
Notre objectif est de faire enregistrer leurs textes par des acteurs et actrices, pour en faire une pièce radiophonique publiée en ligne sous la forme d’un « podcast ».
Je suis un peu habitué aux ateliers d’écriture. En revanche, c’était une première pour moi d’orienter un atelier vers quelque chose comme de l’écriture de théâtre. J’ai donc utilisé la méthode que l’un de mes maîtres, le professeur des universités Jean-Pierre Sarrazac, a transmise dans un petit livre publié aux Solitaires intempestifs, L’atelier d’écriture théâtrale.
Les élèves, Nathalie Broux et moi, nous sommes les disciples du Grand Courbe, le personnage d’Ibsen qui donne ce conseil avisé à Peer Gynt : « Fais le détour ! » C’est une maxime qui a inspiré à Jean-Pierre Sarrazac, dans ses analyses du drame et de ses mutations, la « stratégie du détour », reprise en art-thérapie, spécialement en dramathérapie, par le psychiatre Jean-Pierre Klein.
Nous avons commencé par ce que Sarrazac appelle des « conversations volées ». Ayant assisté à un de leurs cours, consacré à Manon Lescaut, je suis venu au premier atelier avec une conversation que je leur avais moi-même volée.
Voici la conversation volée :
La société est injuste. Je veux devenir millionnaire pour racheter…
Tu veux me racheter, moi ?
Non, pas vous. Je vais acheter un avion.
Tu partiras de l’aéroport du Bourget.
Non du Maroc.
Tu pourras aller au Maroc en avion.
Non, j’irai en bateau.
Les élèves ont écrit des dialogues à partir de cette conversation volée dont voici quelques exemples :
Non, j’irai en bateau
Où ça ?
Faire le tour du monde
Pourquoi un si long périple
Pour découvrir d’autres horizons
Pourquoi ne pas aller en avion
Cela serait moins écolo
Mais plus rapide
Tu partiras de l’aéroport du Bourget
Non de l’autoroute
Pourquoi ?
Car je ne veux pas être entourée d’inconnu.
Tu partiras avec qui ?
Avec toi.
Tu veux me racheter, moi, Aymen ?
Oui et faire de toi ma propriété à vie, Aïcha
Je ne serai jamais ta propriété, sache-le.
Et pourquoi donc ?
Tout simplement car je ne suis pas un objet, je suis une femme entière, libre et certainement pas la tienne, pauvre débile.
Tu auras beau faire, tôt ou tard, je t’aurai.
Jamais !
La société est injuste. Je veux devenir millionnaire pour racheter…
Pourquoi tu la trouves injuste ?
La société est injuste car elle vit pour les riches et laisse les pauvres se débrouiller.
Et tu veux racheter quoi ?
Je veux racheter le monde.
Comment vas-tu racheter le monde ?
Ou plutôt je veux révolutionner le monde.
La société est injuste. Je veux devenir millionnaire pour racheter...
Racheter quoi ?
Une belle maison.
Chez Stéphane Plaza ?
Oui, j’en ai marre de vivre une vie de pauvre.
Pourquoi donc ?
Pour des raisons personnelles.
Les élèves ont aussi écrit des dialogues à partir de duos de personnages imaginaires comme Grand Atchigrandge et Petit Hinki, une licorne colérique et un cochon mélancolique sur la plage de l’île de Koh-Lanta, un samouraï méchant et un soldat puissant dans les Catacombes de Paris, Pepinho, un sportif déterminé, et Kakadinho, un gamer flemmard, ou une sirène affreuse et un vieux loup dans une bijouterie...
Un danseur – Bonjour, monsieur, je peux m’assoir à côté de vous.
Un vieux – Oui, bien sûr.
Un danseur – Merci.
Un vieux – Il n’y a pas de quoi, de toutes façons, ce n’est pas mon banc.
Un danseur – Pas faux, je peux vous appeler le vieux ?
Un vieux – Comme vous voulez.
Un danseur – Sinon vous allez bien ?
Un vieux – Non je suis malade.
Un danseur – Moi aussi.
Un vieux – Il est beau ce parc.
Un danseur – Ouais.
Un vieux – Et vous faites quoi dans la vie ?
Un danseur – Je suis danseur.
Un vieux – Pas mal ça.
Un danseur – Et vous ?
Un vieux – Rien, je suis retraité.
Un danseur – Cool !
Un vieux – Ouais.
Un danseur – Bon j’y vais, le vieux.
Un mouton triste, une vache incroyable à Paris
Vache : Hey comment tu vas ?
Mouton : Bof et toi ?
Vache : Très bien même si j’en ai un peu marre d’être là. Pourquoi tu es triste ?
Mouton : Il y a quelque temps un loup patibulaire s’est attaqué à ma mère et mes frères, je suis le survivant puis un fermier m’a recueilli puis m’a amené au salon de l’agriculture pour les enfants.
Vache : Wow ça doit être dur
Mouton : Toi, pourquoi tu es là ?
Vache : Car je fais un lait incroyable, c’est pour ça que je suis ici.
Mouton (murmure) : T’as bien de la chance.
Vache : Bon je te retiens pas longtemps, j’espère que ça ira. Au revoir.
Mouton : Au revoir.
Un vieux loup tient une bijouterie au bord de la mer, depuis maintenant une trentaine d’années, il est acheteur de tout objet précieux qui provient de la mer.
La sirène affreuse. Je t’ai ramené aujourd’hui une bonne trouvaille.
Le vieux loup. Ah non, je n’accepte rien venant de toi.
La sirène affreuse. Tu rates, mon vieux, l’affaire du siècle !
Le vieux loup. Tu peux garder ton bout de ferraille pour toi.
La sirène affreuse. Tu sais pas ce que tu rates.
Le vieux loup. Si : rien. D’ailleurs porte-le, histoire de t’embellir juste un peu.
La sirène affreuse. Je suis pas venue me faire critiquer par un vieux qui d’ici deux ans ne sera plus là.
Le vieux loup. Bon, sors maintenant, j’ai pas envie que ta mocheté contamine mes beaux bijoux.
La sirène affreuse. Tu veux même pas le voir de loin ?
Le vieux loup. Bon, c’est bon, pars stp.
La sirène affreuse. Tu es inconscient mais c’est pas grave on va mettre ça sur le coup de la vieillesse.
Un garçon gelé aperçoit un bousier faible sur la plage
Woaw un bousier c’est trop moche
Tu parles à qui toi
Ça parle un bousier
Oui, et ça mange du caca, donc soit t’as envie de chier soit tu vas te refroidir ailleurs
C’est très courtois un bousier
Tu me cherches
Non pas vraiment, ce que je cherche, c’est de la chaleur
Et moi de la nourriture
Et donc du caca
Oui
C’est dégueu
Bon tu me refiles à manger car ça fait très longtemps que j’ai pas eu un bon repas, je me sens tout faible et je te conduis à un endroit où tu pourras te réchauffer
D’accord on fait ça quand j’aurai envie de chier, faire ça sur la plage j’aurais jamais cru
Arrête, ça se voit tu fais pipi dans l’eau
Oui comme tout le monde
Dégueu
Dit celui qui mange du caca
Bon donne-moi ce que je veux et on en reste là
Bah attends, ça vient pas sur demande
Merde
Quoi merde
Bah merde
Merde le caca ou merde genre mince
Bah les deux
OK bon ça vient
Bah enfin
Bah non c’était un pet
J’ai le temps de mourir
Bon attendons une heure à peu après
OK c’est le max
C’est d’accord
Un samouraï méchant et un soldat puissant dans les Catacombes de Paris
Samouraï méchant : Y’a quelqu’un
Soldat puissant : Oui moi
Samouraï méchant : Cool
Soldat puissant : Cool Raoul
Samouraï méchant : Tu viens d’où ?
Soldat puissant : Bah je sais pas y’a l’autre il m’a volé mon épée et toi ?
Samouraï méchant : Bah je suis un paria, le Japon, ils m’ont jeté parce que j’étais noir.
Soldat puissant : C’est des racistes, hein, c’est chaud quand même.
Samouraï méchant : Non mais vas-y là, y’a l’inflation, j’ai plus d’argent, je mange que des too good to go à 2€.
Soldat puissant : Si tu veux j’ai des plans sous
Samouraï méchant : Ah ouais
Soldat puissant : Viens j’te ramène voir le gars après, c’est l’autre là je sais pas si tu connais le dragon gras.
Samouraï méchant : Si, je sais miskine, j’ai entendu que sa mère elle l’avait dégagé de chez lui parce qu’il faisait rien.
Soldat puissant : Chuut ! Parle mieux apparemment il entend tout quand il surveille les airs, en plus il crache du feu.
Samouraï méchant : Regarde y’a le point P pas loin. Viens on va dans une sandwicherie.
Soldat puissant : T’es fou j’suis un soldat moi je touche pas à ça.
Samouraï méchant : T’es bizarre toi y’a rien c’est normal, tout le monde fait ça.
Soldat puissant : Lolilol je suis pas tout le monde, je suis the soldat qui va aller conquérir Gotham.
Samouraï méchant : Bref, si t’es pas content j’y vais sans toi, pourquoi tu parles pas.
Le Samouraï méchant voit le Soldat puissant au sol, il vient d’être tué par le renard obèse qui en réalité était envoyé des Japonais pour retrouver Samouraï méchant.
Un roi, en Syrie, endetté, rencontre un magicien qui lui propose une potion qui doit le rendre riche.
C’est ce qu’il te faut, dit le magicien.
Attiré par la richesse et par l’idée de retrouver la grandeur de son royaume d’antan, le roi boit la potion. Et il devient bleu.
Pourquoi je suis bleu.
Car tu es une vraie andouille, tu as pris ma potion.
Le charlatan fut pendu.
La reine : Qu’est-ce qu’il t’arrive mais tu es bleu !
La reine : Je suis triste
Le roi : Pourquoi
La reine : Parce que tu es bleu et je n’aime pas le bleu
Le roi : Je n’aime pas quand tu es triste. Je te ferai voir les plus beaux paysages de Syrie pour que mon bleu ne te gêne plus mais qu’il se fonde avec le bleu du ciel et avec les nuages.
Reine : Pourquoi fais-tu une tête si triste, tu me déprimes, je m’en vais
Roi : Cela ne se voit pas, c’est évident, je suis le seul à le voir.
Reine : Voir quoi, qu’est-ce que je devrais voir de si tragique ?
Roi : Tout est gris et fade, tout cela est déprimant, je suis gris.
Roi : Elle répondit que non, j’étais bleu, je crus qu’elle me faisait une farce et j’étais vexé. Mais je consultai le plus grand Sultan de Syrie qui était un ami de confiance. Je lui demandai de quelle couleur j’étais. Moi, je disais gris, et il me répondit : bleu… J’étais devenu fou. C’était sûr, je demandais à ce qu’on me mette dans un asile.
Mais non. Non, roi, tu es daltonien.
Un rat furieux au cinéma qui parle à une jolie dragon
Rat furieux : Qu’est-ce que tu fais là !
Jolie dragon : Je m’installe au cinéma. On m’a embauchée.
Rat furieux : Tu vois pas que c’est mon territoire.
Jolie dragon : Tkt pas je vais être toute discrète.
Rat furieux : Toi discrète pas du tout regarde toi t’es grande en plus tu es belle tu vas me voler ma clientèle. Je crois que les clients vont fuir.
Jolie dragon : Ahh ! J’ai compris tu as peur de moi.
Rat furieux : Moi ? Pas du tout. Si tu veux, installe-toi dans le petit coin mais dans les salles de cinéma ce que j’aime, c’est les popcorns caramélisés.
Joli dragon : Moi aussi, j’aime bien, tu partages.
Un phacochère passionné, une petite fille grincheuse
Phacochère passionné :
Qu’est-ce que tu as, humaine ? Pourquoi t’es énervée ? Il ne faut pas. Viens avec moi et arrête de bouder. À ton âge, tu devrais pas être énervée. Déjà pourquoi tu boudes ? Tu te feras plein de rides à force de tirer la tronche. Lève-toi et tu vas m’accompagner. On va manger une glace. Oh décidément tu es vraiment compliquée. Tu n’es pas trop bavarde, toi. Bon je te laisse à demain. Sinon tu vas me contaminer avec ta négativité. Souris un peu à la vie, oh !
Un chacal passionné, une mouette curieuse
Lieu : une piscine
Un chacal : Mouette tu dates
Une mouette : Chacal toi aussi
Un chacal : Que fais-tu à la piscine ?
Une mouette : Idiot, je nage.
Un chacal : Bref, tu sais depuis le temps je suis passionné par les humains
Une mouette : Comment ça ?
Un chacal : Je te jure
Une mouette : Comment as-tu découvert cette passion ?
Un chacal : Un jour je me suis posé à côté d’une maison et je voyais par la fenêtre les humains, ils faisaient la fête, dansaient, chantaient, parlaient.
Une mouette : Le monde des humains est comment ?
Un chacal : Assez basique mais leur train de vie est chargé.
Une mouette : Tu n’as pas peur d’eux ?
Un chacal : Je suis tout de même futé, ne t’inquiète pas.
Une mouette : Mis à part ça, tu n’as pas d’autre passion ?
Un chacal : Non, le monde humain est incroyable.
Une mouette : T’aimerais toi devenir humain ?
Un chacal : Pour une journée oui
Nous avons remis en jeu leurs différents textes et nous leur avons demandé de monter, démonter, croiser, remonter les dialogues à la manière de La demande d’emploi de Michel Vinaver.
À suivre… !