Irène Bonacina | Puzzle Temps
Cette période étrange semble propice à une plongée en soi-même, nécessaire à l’écriture. Sauf que le confinement implique la fermeture des écoles et quand on est jeune parent, comme moi, comme beaucoup, les choses se compliquent. Mon temps de travail a rétréci comme une peau de chagrin. C’est devenu un puzzle quotidien : je glane ici et là des quarts d’heure et demi-heures, tente de les assembler en une heure, puis deux, éventuellement trois.
Dans cet espace-temps morcelé, le plus délicat est de ne pas perdre de vue une direction plus globale, un horizon.
Ma résidence d’auteure à la médiathèque Pablo-Neruda de Malakoff s’est déroulée sur deux mois avant que ne ferment tous les établissements. De mi-janvier à mi-mars donc, un premier chapitre heureux et tellement enthousiasmant. Puis ce temps mort imposé à tous. La frustration, et une légère amertume. L’impression d’être coupée dans un bel élan commun.
Pourtant, j’éprouve un sentiment de cohérence tout à fait inattendue lorsque je parcours mon carnet de recherche de ces deux premiers mois de résidence.
Le thème que j’explorais s’intitule caché-révélé.
Sur les pages, je redécouvre une succession de formes fugitives :
Astres
Éclipses
Lumière voilée, découpée
Traces invisibles et décousues
Puzzle d’empreintes, de pointillés, de filigranes
Lueurs
Et même, une clef – à peine lisible, insaisissable.
Autant d’"images fantômes" qui font échos à ce que je vis en ces temps de flottement et d’incertitude. Je suis surprise de cette relation entre ma recherche artistique et les contraintes qui semblent l’empêcher. C’est une découverte réconfortante et stimulante.
Aussi, je crois en la maturation souterraine. Cette pensée m’apaise : une fois qu’il a été enclenché et nourri, un processus de création ne s’arrête pas vraiment. Même en hibernation, les intentions évoluent dans les profondeurs silencieuses. Elles quittent le mental, redescendent, et même, cela leur fait du bien. On est souvent surpris de ce qui apparaît après une période de jachère.
Je fais davantage confiance aux petites choses, aux petits efforts, « aux petits cailloux » qui tracent discrètement et sans prétention, un chemin. Encore une fois, ces temps-ci, je me blottis dans mes carnets et y inscris à la volée les petites avancées de ma pensée.
Nous vivons une sorte de printemps hivernal totalement inédit. Ce changement d’habitudes et de repères aiguise de nouveaux désirs et la perception de priorités nouvelles. On attend le nouvel élan.
Avec l’équipe de la médiathèque Pablo-Neruda, nous avons décidé de reporter ma résidence à la prochaine rentrée scolaire.
En septembre, nous nous remettrons en route ensemble, motivées, jusqu’à fin mars 2021.
Nous serons pleines de questions : à quoi ressemblera l’école en septembre ? Quelles seront les conditions de rassemblement ?
Il faudra inventer, rebondir, et peut-être faire le deuil de la résidence que je m’étais imaginée avant le confinement. Je me rassure en me disant que tous les ingrédients essentiels sont réunis.
Et même, j’ai entre les mains ce grain de sel inattendu, cette question à creuser absolument : quel dialogue peut naître, pour moi, pour les enfants, entre l’expérience du confinement et la poésie du caché-révélé ?