L’écart qui existe

« Â On dissimule mal ce qu’on est  », Olivier Vossot


Olivier Vossot – dont c’est ici le deuxième livre – s’adresse, en partie, àson grand-père mort. Il lui parle du temps qui s’est écoulé depuis qu’il n’est plus là, d’un présent qu’il aborde délicatement et de certaines scènes douloureuses, survenues pendant l’enfance, qui restent àjamais imprimées en lui. Elles sont liées àla maladie de l’alcool dont souffrait le père ( il dans les poèmes) àqui le livre est également dédié.

« Â Ce que nous attendions, elle et moi
n’était pas que l’alcool lui passe,
ni que le silence, la nuit épaisse,
enfin, se jette sur nous
avec son mufle usé, sali.
C’était un autre silence,
un autre temps, l’écart qui existe entre durer et tenir.  »

Pas de ressassement chez Olivier Vossot mais un choix devenu vital : acquérir cette écriture claire, fragile comme peut l’être le verre, qu’il manie parfaitement, où chaque mot pèse, pour affronter les réminiscences du passé en gardant assez de distance émotionnelle pour ne pas s’y brà»ler. C’est un long cheminement au cours duquel il parvient àtrouver un point d’équilibre pour que les images écornées de l’enfance s’inscrivent dans son histoire intime sans le déstabiliser. Cela passe par la poésie, par le recours au grand-père (qu’il tutoie) et par l’attention portée aux instants qui peuvent réconforter.

« Â Quel corps est le tien maintenant,
au-delàdu bruissement d’épines,
du silence de n’être plus que soi ?
Nous vieillissons
avant d’être un cÅ“ur d’enfant qu’on soulève.
Souvent tu me tiens dans tes bras,
je ne pèse pas lourd de vie.  »

Il y a chez Olivier Vossot une réelle faculté àentremêler les époques. Cela donne de la visibilité au fil ténu qui relie les générations entre elles. Il dit, discrètement, avec sa voix ô combien personnelle, concise et efficace, ce que les uns doivent aux autres. Ce qui, venant du passé, peut apporter un plus ou devenir obstacle.

« Â Le passé ne vieillit pas.
À huit ans j’ai su que j’avais peur de lui, de son mal-être.
Chaque verre l’arrachait au même noyau de silence,
les ans l’en éloignaient comme d’un fantôme,
d’une enfance.
Le regard est un long regret.
Nous portons le fardeau d’un passé sans naissance.
Lui consentait àsa destruction
comme si vraiment il savait
où nous allons.  »

Il n’est pas évident de s’exprimer ainsi. D’aller gratter làoù ça fait mal. Mais il arrive, comme c’est ici le cas, qu’il n’y ait pas d’autre alternative.


Olivier Vossot : L’écart qui existe, préface de Albane Gellé, couverture de Pascaline Boura, éditions Les Carnets du Dessert de Lune.

Jacques Josse

20 avril 2021
T T+