L’était une fois dans l’ouest

Roman de Thibault de Vivies


C’est l’hiver, la neige, le bois qui manque, le loup qui appelle dans la forêt où vivent, àl’écart, isolés dans leur logis précaire, un homme et une femme dont les enfants sont partis se perdre ailleurs, sans doute dans les dunes, aux confins de la « Â Cité soumise àtrop de radiations  », làoù il vaut mieux ne pas mettre les pieds.
C’est l’histoire de ce couple vieillissant que raconte Thibault de Vivies. Il la décline en une langue particulière, envoà»tante même tant elle est lancinante, évoluant en phrases longues et mouvantes où s’entremêlent – en neuf chapitres, neuf jours – les voix, murmurant sentiments et émotions, des deux personnages principaux ainsi que celle, précise et discrète, du narrateur.

« Â Ce n’est pas sans effort que je réussis àenfiler le pardessus en laine et àfaire passer les bras l’un après l’autre et le corps mal foutu qui résiste àtant de sollicitations, je sors les souliers du dimanche-jour-du-Seigneur de leur étui et peux-tu m’aider mon homme ày placer bien confortablement mes pieds boursouflés par le froid et l’âge avançant oui y’a bien longtemps que je n’avais ôté mes chaussons, es-tu sà»r que ça vaille la peine qu’on sorte pour la promenade si le danger était bien réel dehors de croiser le loup ou tout autre animal de son espèce tu sais bien comme les êtres se transforment en hiver...  »

L’auteur fait tenir dans ses pages – avec ces vagues de mots bien ajustés qui roulent en produisant une sorte de ressac – le quotidien de deux fourmis besogneuses qui ont àpeine assez de leur journée pour mener àbien, avec la lenteur qui les caractérise, leurs occupations habituelles. Il leur faut tenir la maison, aller chercher du combustible, entretenir le feu, réparer ce qui peut l’être, vivre le présent, se souvenir des jours heureux, respirer, penser, se demander où sont les enfants, rester bienveillants l’un envers l’autre, s’inquiéter de la visite inopinée d’un homme qui leur a, tout d’abord, paru providentiel, puisque apportant du bois le jour même où le leur venait d’être volé.

« Â C’est ànouveau l’inconnu qui entre oui le même que ce matin avec la même bonhomie mais cette fois-ci la panoplie du parfait bà»cheron et il dépose une ou deux bà»ches devant le poêle et il ose me sourire en s’approchant de moi et il me prend dans ses bras et mon homme àdeux pas ne réagit pas, laisse faire mon homme c’est une affaire qui ne prendra pas plus d’une minute...  »

Peu àpeu, l’inconnu multiplie les incursions, n’a plus besoin d’entrer par la porte, traverse carrément le mur, semble venir de l’au-delà, missionné sur terre pour extraire définitivement du logis celui ou celle qui a fait son temps.

Il se passe des choses étranges dans cette contrée hostile où les capacités de résistance des plus aguerris finissent par s’épuiser. Un jour vient où le corps lâche prise, où il faut s’en démettre et préparer son paquetage pour ailleurs. Auparavant, il y aura eu du bon, ici un « Â jour de rab  », làun « Â jour de tranquillité active  » ou encore un « Â jour de pénitence  ». Ce sont ces moments de grande densité, vécus par le couple qu’il met en scène, que déroule et assemble minutieusement Thibault de Vivies, et ce jusqu’àl’implacable tombée de rideau.


Thibault de Vivies : L’était une fois dans l’ouest, Publie.net.

Jacques Josse

15 octobre 2021
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