La douceur de Samy Langeraert

Mon temps libre de Samy Langeraert, éditions Verdier, 2019



C’est un livre qui a la grâce. Le premier de son auteur, Samy Langeraert.

Un jeune homme, à Berlin. Il passe du temps à sa fenêtre – clin d’oeil admiratif à Peter Handke – et regarde le monde autour de lui. Il marche, il roule à vélo, se rend dans les cafés, va au cinéma, passe son temps libre à observer, noter, la couleur des feuilles des arbres, la moue d’une gamine, les bruits de la ville. Pour gagner sa vie, il donne quelques cours de français de chez lui, par Skype. Les saisons passent, quelqu’un manque, une certaine M., aimée et enfuie.

Samy Langeraert ne s’appesantit jamais. Son écriture est si douce et légère qu’elle vole au-dessus des émotions, les effleure - tous les sens ouverts, le monde à fleur de peau -, nous les signale sans nous en charger. Aucun égotisme, moins la quête de l’autre que la tentative de capter un vide, un manque, une solitude. Progressivement, la membrane qui sépare le narrateur de la vie dehors, la vie des autres, se mue en vibration d’amour et de chagrin. Là encore, aucune sensiblerie, aucun pathos. Les sensations font merveille, ’La dépression est là, toute proche. Je prends le mot comme je l’entends : un affaissement, un trou, une absence de poussée’.

Samy Langeraert ne nous entraîne pas dans le trou. Au contraire, et c’est là le miracle de ce récit. L’écriture, d’une précision extrême, retient si fort ce qui se passe sur les bords du vide, que la vie revient, nous lèche de ses perceptions infimes qu’on peut dire aussi infinies, le bruit ’des chaussures à talons sur le trottoir en fin d’après-midi, le claquement ricoché sur toute la hauteur des façades […] L’hiver touche à sa fin, le merle n’a pas chanté depuis quelques minutes, en face les briques commencent à ramollir et onduler sous les vagues de chaleur.’

Lorsque le narrateur revient à Paris, c’est l’été et il pleut. De l’année berlinoise, de l’amour dans et pour cette ville, de ces déplacements du temps et du corps, du va et vient entre deux langues, de cette double identité qu’est toujours la relation amoureuse et qui nous fait nous perdre de vue quand elle se déchire, quelque chose éclot, la ’cinquième saison’, aurait dit J.-B Pontalis. Une nouvelle vie peut commencer, le narrateur caresser un chat, avoir envie d’embrasser des inconnus. Le désir reprend sa place, simplement.

5 mai 2019
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