Laurence Werner David | L’Effet de la lave

Tous les créateurs dignes de ce titre s’inventent une famille, recréent des filiations, fondent de nouvelles parentés. Ce fait, souvent vérifié, m’a frappé à la lecture de la pièce de Laurence Werner David, L’Effet de la lave, parue il y a peu aux éditions Lanskine. De fiction en fiction, Laurence Werner David auteur de six romans, compose un monde humain à sa mesure. Non pas une colonie idéale, mais une petite compagnie nouée où les liens sont comme des nerfs à vif. Dans ce monde, une figure récurrente joue un rôle aussi central qu’énigmatique, celle de l’homme puissant et fragile, viril et fatigué, mais toujours combatif – ici, Richard qui revient de six années passées dans une unité militaire au Nord de l’Irak, et qui retrouve les siens au fond de quelque province française. Bien qu’accompagné d’une nouvelle petite amie, Richard n’a qu’un véritable répondant féminin : sa sœur Mathilde. C’est le vrai couple du drame feutré qui se joue dans ce retour du frère aventurier, mais couple combien problématique, combien incertain, et secoué… On est pris dans la vie et les silences de cette étrange famille que Laurence Werner David dessine comme une esquisse. L’émotion est continue. À vrai dire, les personnages ne parlent que de ça. Non des choses (le pancake que Rose ne veut pas manger, par exemple ; l’atlas ouvert sur le bureau du père ou la sacoche où gît le Beretta, autres exemples) mais de la sensation qu’elles provoquent ; parfois seulement des mots qui les nomment (le mot « ambitionner », sur lequel rêve l’auteur). On est pris dans ce flot émotionnel qui semble tenir les événements à distance, le drame derrière la porte. Notamment le grand événement de l’amour qui n’a jamais lieu ici, que sous des formes dérivées, lointaines, effacées ou esquissées. Certes, l’événement pourrait faire irruption à chaque instant. Mais « tranquille » est l’un des mots récurrents de la pièce. Tranquillité qui n’est nullement un affaissement, une ataraxie, mais un état durement conquis, et d’ailleurs toujours menacé. Une coulée de lave refroidie ?
La menace est sourde, mais elle est là sans qu’on puisse jamais totalement la nommer.

Christian Doumet

http://www.editions-lanskine.fr/livre/leffet-de-la-lave

Dessin : Emmanuelle Pidoux