les projecteurs idoines
Béquet n°5
à la femme qui l’assiste.
La machine dégage les paroles de guerre d’un Terrier.
Je
et Moi
recouvrent la même voix
A DEUX ON FRAPPE PLUS FORT
la femme retranscrit des points d’impact. Elle prend une certaine indépendance grâce à
– l’ouverture à l’inattendu
– les escaliers aux formes débridées
– sa manière de squatter les trous des autres
Elle est éclaireuse de métier. Elle dispose des projecteurs IDOINES dans les champs de mines. Elle pointe un doigt général sur les restes sans nom.
L’extermination d’un groupe humain et animal est un processus. "Faire" est le verbe le plus utile. Tuer est un art vivant. Un soldat saute sur un soldat. Un tableau fait implosion sous un c.h.a.r. Des projections de boue “matriculent” un crane tondu. Les organes retournent à leur position initiale. De grands sacs-poubelle verts VIGILANCE & PROPRETÉ
embarrassent une tranchée. Une larve gonfle, le corps reflue à la tête. Est-ce la tête ? Deux pommes de terre sûres d’elles s’activent au contrôle en surface. Des brouettes déplacent les tubercules gangrénées. Prioritaire à la sécurité, un médecin barbouille une ordonnance numérique − ne pas salir ses mains pendant que Le Drame Social tue les chiens. Mais on ne meurt pas aussi vite que le croit un chien nerveux.
La femme ne tient pas en habit de combat
ELLE N’A PAS LES ORGANES QUI FAUT POUR
son squelette local ( Moi ) tombe par terre
son squelette général ( Je ) écarte les bras à terre
C’EST QU’ELLE N’A PAS ENCORE COMPLETEMENT LE CANCER
PIERRE BEQUET attend, assis par terre, que germent les pommes de terre. Montée haute sur pattes de volaille et sous entonnoir, il reconnaît son assistante au moment de tirer sur elle. Elle a la même tête que sa chienne tendance bouledogue : face écrasée, défigurée à force d’être semblable à tout ce qui est autour d’elle. N’EST PLUS ASSUREE Un des premiers signes de cette vie de basse-cour est d’abord de souhaiter mourir d’en avoir assez de picorer.
À peine PIERRE BEQUET
a-t-il balayé les feuilles (mortes) sous l’enseigne de l’entreprise [1] que d’autres feuilles (vives) viennent encore s’y poser. Il fait le point. Il dresse un itinéraire : le chemin est jonché de fragments d’omoplates rongées par des chiens. Il pense et repense de plus en plus sa Vie. Il jette la capitale aux chiens. Il sent une présence sans arriver à la découvrir. Il entend un bruit sourd : il est si difficile de ne pas entendre ce « chut ». Il voit un Veilleur au chien avec un reflet de projecteur dans le tableau.
PIERRE BEQUET est interloqué par le chien.
Avec ce chien il y a des réflexions à se faire.
Comme la femme réfléchit à quatre pattes, elle dit : « Les lettres des morts sont mangées par des souris vivantes. »
Les matériaux de ma table
[la table de travail d’un béquet étant l’outil principal, c’est-à-dire l’établi]
sont jetés en avant
de l’ouverture généralisée du monde [2],
de l’interdépendance accrue des espaces [3],
du creusement des inégalités socio-économiques [4],
de la démesure du milieu indéfini et homogène dans lequel se situent les êtres et les choses caractérisé à la fois par la continuité, la succession et les états de renversements atmosphériques et idéologiques [5],
de l’accélération à retard fixe, centrifuge et centripète, responsable de la rotation des masses d’air autour des centres de haute pression (anticyclones) et de basse pression (cyclones), dans un sens différent selon que l’on se trouve dans l’hémisphère terrestre nord ou sud. [6]
de "l’invention d’une écriture par le corps"
de la “dissociation des idées ”(Philippe Rahm & Rémy de Gourmont) [7]
de la solution pour continuer à jouir de la littérature en évitant de devenir écrivain (Jean-Yves Jouannais) [8]
de La Sécurité des personnes et des biens [9]
des Recherches d’un chien [10]
des Méta-activités du bout du monde [11]
de « la grande explosion porno-lettriste » de
MA TANTE SIDONIE
MA TANTE SIDONIE
et des lectures “overwritting” de Gwenaëlle Stubbe ce samedi 27 novembre au Monte-en-L’air.
Les matériaux posés, disposés, composés, exposés sur ma table [de travail] lâchent prise. Ils tombent sous la table.
Ma tante Sidonie est tombée la première.
La tombée de table des matériaux de ma tante interverse les lettres [récurrence des formes de l’anagramme]
S I D O N I E
I D O I N E S
S I D O N I E
I D O I N E S
ma tante/ perd ses droits
Ma tante Sidonie
, “épopée visuelle” et “poème figuré” [12] de
[13], projette de dessous la table ses matériaux sur ma lecture [14]
Les projecteurs idoines font une “lecture accomplie” de Ma tante Sidonie.
Le béquet n°5 aborde la question des projecteurs. [15]
[2] De haut en bas, première image ci-dessus : vue d’exposition à la Fondation Ellipse. De gauche à droite : Stéphane Thidet, Untitled (le terril), 2008, Martin
Parr, Common Sense, 1999, Urs Fischer, Mackintosh Staccato, 2006, Esko Männikko, Kittlä, 1995, Kuivaniemi, 1994, Kuivaniemi,
1993, Kuivaniemi, 1992, Hyrynsalmi, 1992, Hyrynsalmi, 1990, Utajärvi, 1990, Aurel Schmidt, So Damn Pure, 2008, Kimsooja, Bottari
Truck, 2005, © DMF (Cascais)
[3] Deuxième image ci-dessus : de gauche à droite : Navin Rawanchaikul, Fly Me To Another World (dedicated), 1999, Marepe, Rio Fundo, 2004, Paul McCarthy,
Pig, 2003. Vue de l’exposition à la Fondation Ellipse. © DMF (Cascais)
[4] Troisième image ci-dessus : De gauche à droite : Maurizio Cattelan, Untitled (Natale 95) Stella con BR, 1995, Virginie Barré, Les Hommes Venus d’Ailleurs, 2007,
Jeff Koons, Wrecking Ball, 2002. Vue de l’exposition à la Fondation Ellipse. © DMF (Cascais)
[5] Quatrième image ci-dessus : De gauche à droite : Claire Fontaine, Strike V. II, 2005-2007, Stéphane Thidet, Untitled (le terril), 2008,
Martin Parr, Common Sense, 1999. Vue de l’exposition à la Fondation Ellipse. © DMF (Cascais)
[6] Cinquième image ci-dessus : De gauche à droite : Mark Dion, Les nécrophores-L’enterrement (Hommage à Henri Fabre), 1997, Kimsooja, Bottari Truck, 2005,
Gregor Schneider, Das Grosse Wichsen, 1997, De Anna Maganias, The View From Bed, 2007, Mark Manders, Fragment from selfportrait
as a building/Room with Landscape with Fake Ballpoint,1993, Urs Fischer, Mackintosh Staccato, 2006. Vue de l’exposition
à la Fondation Ellipse.
© DMF (Cascais)
[7] Sixième image ci-dessus CP d’après Mark Dion©, Les Nécrophores - L’Enterrement (Hommage à Henri Fabre), 1997, fourrure synthétique, corde, moulage en résine. Courtesy La maison Rouge
[8] « Parce que je suis quelqu’un de raisonnable, de sérieux, totalement dénué d’esprit et de fantaisie et que je me dis que cette idée, ce projet, je n’ai pas pu l’avoir moi-même. J’imagine bien en revanche un personnage de Borges consacrant le temps qui lui reste à vivre à l’écriture de la plus grande encyclopédie des guerres, sans la moindre légitimité scientifique, et surtout sans savoir en quoi la guerre le concerne… Ça ne peut être que le sujet d’un roman, le motif d’une fable… Une encyclopédie des guerres en elle-même n’a pas plus d’intérêt qu’un autre projet d’écriture, si ce n’est qu’ici, c’est une entreprise littéraire qui invente son auteur. Je suis littéralement inventé par cette écriture, et ça je le vérifie concrètement… Après, il y a autre chose : en général, quand on entreprend l’écriture de quoi que ce soit, on a vaguement l’intuition d’une thèse, d’une démonstration, or là le principe est de faire en sorte que l’auteur n’ait pas son mot à dire en tant qu’auteur. C’est la raison pour laquelle je me présente comme un compilateur et le métier du compilateur est plus proche du métier de copiste. C’est-à-dire que Littré ou Larousse sont plus proches de Bartleby ou de Bouvard & Pécuchet que de Melville ou de Flaubert.
Au final, il s’agirait peut-être de trouver la solution pour continuer à jouir de la littérature en évitant de devenir écrivain. »Jean-Yves Jouannais. Entretien avec Jean-Charles Masséra, in It’s Too Late to Say Littérature, revue AH ! #10, éd. Cercle d’art, 2010. Voir lecture-performance du 28 octobre 2010 à l’ Institut d’art contemporain, Villeurbanne/Rhône-Alpes
[9] Septième image : copie d’une photographie de Myr Muratet, ainsi que la dernière image de la série "Wasteland" n°11, reproduite en fin de chronique, extraite du livre La Sécurité des personnes et des biens page 145.
[10] L’exposition Les recherches d’un chien présentée à La Maison Rouge emprunte son titre à une nouvelle de Franz Kafka dont l’unique acteur est un chien qui s’interroge sur sa condition (animale ?) et sur ses appartenances communautaires et sociales. Des questions ininterrompues et obsessionnelles qui l’éloignent des autres chiens et le font vivre en marge de l’ordre établi et de ses conventions.
« Il y a une lisière de convention sur laquelle on permet à l’art de se promener », selon Denis Diderot et Paul-Armand Gette. Le propos de l’exposition Recherches d’un chien serait-il que les artistes comme les chiens s’approprient les lisières ? Hypothèse institutionnelle car il existe une grande variété de chiens. Et de lisières. Ici (huitème image ci-dessus) par exemple, une photographie de Myr Muratet hors exposition.
[11] Neuvième image : ©Jean-Paul Thibeau, exposition Méta-archives. Anarchives fragmentaires et énigmatiques
[12] Cf. Antoine Coron, Avant Apollinaire vingt siècles de poèmes figurés, éd. Le Mot et le Reste , 2005.
[13] Ma tante Sidonie, paru chez publie.net http://www.publie.net/fr/ebook/9782814501720/ma-tante-sidonieen octobre 2008, vient d’être réédité chez P.O.L en novembre 2010
[14] « Il dévore les déchets tombés sous sa propre table ; de cette manière, sa satiété dépasse certes un court instant celle des autres, mais il en oublie comment on mange à table ; de cette manière, les déchets finissent eux aussi par manquer. » Franz Kafka, Les aphorismes de Zürau, Gallimard, Arcades, 2010, p. 84.
[15] Les phrases écrites en petites capitales sans accent dans la première partie de la chronique (petite histoire de PB) sont recopiées de Ma tante Sidonie de Gwenaëlle Stubbe.