Pascal Nordmann | Les terres obliques

Chaque biscuit de la marque Vous contient une pensée du roi, un cheveu, un bouton de pantalon, quelques gouttes de patience, de quoi écrire jour et nuit durant sept ans et un lambeau de papier sur lequel sont inscrites les paroles d’une prière à laquelle vous ne croyez pas.

Au fond, personne n’a jamais vraiment pu dire si les étoiles tournaient autour de vous ou si c’est vous qui tournez autour des étoiles. Dans ce dernier cas, il ne nous reste plus qu’à vous souhaiter d’être brillant, rapide, électrique, libre de tout vertige et adroit dans vos déplacements.

Dernière minute. De nouveaux éléments nous parviennent qui pourraient contribuer à dissiper le mystère entourant l’apparition continue de nouveaux habitants au sein du monde oblique. Selon une étude de laboratoire, pour fabriquer un habitant des terres inverses, il faut la rencontre de deux espèces. Ainsi, certains seraient faits d’un mélange de joie et de benzine, tandis que d’autres seraient le résultat de la rencontre d’une particule de laine et d’une miette de pain. Dans tous les cas, précise l’étude, il convient de vérifier le contenu du porte-monnaie avant de juger de la personne.

Juste avant d’arriver à Sainte-Beauté, sur la route de Saint-Agricole, regarder se briser la ligne d’avenir devant les collines de Sainte-Phage-des-Champs.

Sans l’impureté des fermes à espoir, il n’y aurait plus, dans les chants d’oiseaux, que des hommes armés aux galons brûlés.

Laissez rugir et onduler les terrains libres. Ils viendront manger vos pommes de terre et ravageront vos clapiers à lapin. Cul dans la ferme dévastée, il est toujours temps de penser à sa tête. Cela ne sonne pas toujours creux.

La nuit, dans la grande salle, quelqu’un joue du piano sans que cela ne calme les angoisses suscitées par la naissance du petit paysan.

Certaines pensées, certaines idées peuvent transformer leur auteur. Sous l’effet de certaines pensées, on a vu des conducteurs de locomotive devenir fourgons à bagages, des fourgons à bagages se faire chef de gare, des chefs de gare se transformer en jujube, des jujubes se retrouver melon. Soyez attentif, des effets inattendus ne peuvent être exclus, vous pouvez être emmené plus loin que vous ne l’aurez prévu, on ne mesure pas toujours sa force, ne pêchez pas par excès de confiance : avant de penser, pensez à demander conseil à un spécialiste.

Monsieur le téléphone, bonjour ! J’espère que vous allez bien et que ce message vous trouvera en bonne santé. Vous me pardonnerez de m’adresser à vous pour ce qui, finalement, vous paraîtra peut-être peu de choses. Aujourd’hui, je vous ai confié une communication. Il s’agit d’un message que je me suis adressé à moi-même. Il contient quelques pensées essentielles constituant un socle et un cadre indispensable à la suite de mon existence. C’est ce qui me pousse à m’adresser à vous, Monsieur le téléphone. Comment se fait-il que je n’aie pas encore reçu cet appel ? Dans la certitude qu’il ne s’agit que d’une distraction de votre part et qu’elle sera vite corrigée, je vous prie, Monsieur le téléphone, de recevoir l’assurance de mes sentiments les meilleurs.

Certaines choses sont la source d’innombrables questions. Si, comme chacun d’entre nous, vous représentez le cent pour cent de la nature du monde, vous pouvez être certain qu’un moineau est au courant. Si ce moineau le sait, il le répétera à un certain nombre de congénères réunis autour de lui sur une branche. ’Vous voyez celui-là ?’ ’Oui ?’ ’Eh bien, sachez-le : il représente le cent pour cent du monde.’ Vraiment ?’ ’Vraiment.’ ’Bien, admettons. Mais alors, cela signifie-t-il que nous, moineaux sur cette branche, sommes une partie de lui ou faut-il, au contraire, en conclure que c’est lui qui est une partie de nous et que, contrairement aux apparences, cet homme est un oiseau ?’

Cet homme avait pour profession de parler aux tornades. ’Ça suffit comme ça. Nous sommes des gens raisonnables et pondérés. Nous ne désirons rien d’autre que cultiver notre maïs et nos soucis. Nous ne voulons pas du vide laissé par le passage de tempêtes destructrices. Casser des toits, déraciner des arbres, quel passe-temps stupide ! Vous êtes très probablement capable d’entreprises et de réalisations mille fois plus raisonnables. Il vous faut une occupation constructive. Positive. Pourquoi ne pas faire le bien autour de vous ? Aller visiter les prisons, par exemple. Pensez-y. Allez, allez, vous ne vous êtes pas encore découvert vous-même, rentrez chez vous.’ Avec le temps et la pratique, ce professionnel avait développé une rhétorique originale et puissante qui avait fait sa réputation. ’Qu’est-ce que j’ai dit ? Passez votre chemin. Allez souffler ailleurs vos dévastations, vos peines et vos idées d’enfant gâté. Ici, cyclones et tornades ne sont pas les bienvenus ! Ouste !’ C’est cette habileté rhétorique qui, en ce temps de multiplication des tempêtes, amenait des collectivités de plus en plus nombreuses à faire appel à lui. On se passait le mot. ’A Tendre-sur-Dur, vit un excellent rhétoricien qui peut éviter bien des embarras, bien des dégâts. Il n’est pas cher et il parle si bien !’

En direction de la ville de Saint-Jasmin, en venant de Pont-l’Enclume, sont enterrés deux flacons, l’un de poison, l’autre d’encre. Tous deux servent à la même chose : écrire l’avenir.

Le sucre que vous avez récolté, transformez-le en acteur tragique. Le soir, dans la grande salle, il vous enchantera, vous racontant l’histoire de vos terres, les terres obliques. Vous vous verrez, à l’ombre du pommier, donnant l’ordre à votre tracteur de venir chercher l’espoir dans votre tête.

Pour faire pousser du désespoir, le grand poète latin Virgile recommandait d’utiliser la prose et le vers iambique.

Avec les moissonneuses-batteuses Pitre-Monge, vous récolterez le blé jusque dans votre cœur. Le rendement sera amélioré et les abeilles seront épargnées.

La forêt suspendue au-dessus de la porte d’entrée sert à raviver le souvenir du jour où les ombres pénétrèrent si loin à l’intérieur du cœur de l’homme que comètes, emballages et rats des champs en tremblèrent cent ans sans discontinuer.

Ici, chère Jeanne, il n’y a plus d’automne, il n’y a plus d’hiver ni de printemps. Il n’y a plus que l’été. Un éternel été aux herbes jaunes craquant sous le pied. Un été de rares insectes, lourds et patauds qui semblent comme égarés entre les pieds des milliards de plants de maïs ou de betterave qui recouvrent les plaines et les collines de l’empire oblique.

L’église de la Brutalité sera créée à Bourg-les-Champs le 22 avril à 14 heures.

1er décembre 2023
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