Pierre Antoine Villemaine | Quelque part dans l’inachevé

Quelque part dans l’inachevé (R. M. R.)

soit de bien, soit de mal
j’écris à l’aventure
suivant de ce lieu les accidents divers
je crayonne
de manière irrécusable
par action oblique
hétérogène
la rythmique
et les contours d’une insistance
mer éternellement silencieuse
où penser toujours plus bas que la pensée
est savante misère

*

titubant intérieurement
des morceaux se détachent du cerveau

l’hésitation ravive le refrain incertain
discordant et monotone

*

et de nouveau elle résonne
toujours changeante toujours identique

dormante toujours présente
elle flotte on ne sait où
à portée de voix
elle chemine entre les choses

venue du jadis
de l’autre fois de toujours
elle se reprend
observe la répétition

tramée d’héritage
ignorante de la mort
elle ne cesse de faire parler
dans un « étrange sectionnement du temps »
elle brise le vif de l’esprit

« extraite musicalement »
elle va d’un point d’effacement à un autre
et rien d’elle n’est fermement possédé

elle n’exige ni ne menace
elle veille

lacune à découvert
elle fait retour dès que je parle
inaccessible mais dite

quelque chose git en elle
quelque chose qu’elle ne peut expliquer

*

dans l’ombre de ton rêve
indéfiniment fuyant
quelque chose d’un peu vague
quelque chose comme une vacillation
un souffle d’air
furtivement fait figure

l’étrange visite
sollicite la possibilité d’une forme
l’apparence d’un corps

égarée dans les complications du cerveau
elle cherche une issue
la protection d’une image
la consolation d’un visage

*

Il portait en lui cette sensation d’être n’importe qui. Sans lieu et sans nom. Parfois sa pensée se retirait et il sentait qu’il s’évaporait doucement dans l’air. Ce n’était pas désagréable. C’était comme un évanouissement, un lent engourdissement auquel il s’abandonnait volontiers, un doux sommeil dans le froid, dans la neige. Ce motif lui revenait sans cesse et il ne pouvait pas s’en défaire. Il avait souvenance que le froid accroissait la clarté des choses, augmentait la netteté de leurs contours. Cet arbre effeuillé dont le tronc et les branches fines se découpaient si vivement du ciel lui en avait apporté la preuve. - Oui, je le connais votre arbre isolé au beau milieu d’un champ, je le vois bien, on dirait qu’il est peint à l’encre de Chine sur le paysage. - Vous le voyez souvent ? - Non, je ne veux pas le déranger, il est fier et je préfère le laisser à sa solitude.

18 février 2021
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