Prose express / Franz Kafka |
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Prose express propose une promenade hypertexte dans un domaine esthétique encore neuf, peu formalisé, celui des proses narratives ultra-courtes - ce sont des extraits complets, conçus comme tels par leur auteur, mais une invite évidemment à lire en entier le livre chaque fois indiqué d'où ces textes proviennent. |
Cétait de très bonne heure le matin, les rues étaient propres et vides, je men allais à la gare. En comparant une pendule avec ma montre, je vis quil était déjà beaucoup plus tard que je navais cru ; il fallait me dépêcher ; leffroi que me causa cette découverte me fit hésiter sur mon chemin, je ne my connaissais pas encore bien dans cette ville ; il y avait heureusement un agent de police à proximité, je courus vers lui et lui demandai hors dhaleine mon chemin. Il se mit à me sourire et me dit : " Cest de moi que tu veux apprendre ton chemin ? - Oui, lui dis-je, puisque je ne peux pas le trouver tout seul. - Abandonne, abandonne ! " dit-il en se détournant de moi dun geste large, comme font les gens qui ont envie de rire en toute liberté. Franz Kafka, Journal, traduction Marhe Robert, Grasset, 1956. |
Une charrette de paysans chargée de trois hommes montait lentement une côte dans l'obscurité. Un inconnu se dirigea vers eux et les appela. Après un bref échange de paroles, il apparut que l'inconnu demandait si on pouvait le prendre. On lui prépara une place et on l'aida à monter. C'est seulement quand la voiture se fut remise en route qu'on lui demanda : " Vous venez de la direction opposée et vous y retournez ? - Oui, dit l'inconnu. J'allais d'abord dans votre direction, mais ensuite j'ai fait demi-tour parce qu'il a fait nuit plus tôt que je ne m'y attendais. " Franz Kafka, Journal, traduction Marhe Robert,
Grasset, 1956.
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un autre
. Je suis assis depuis des années au grand carrefour, mais je devrai quitter ma place demain, parce que le nouvel empereur arrive. Je ne me mêle à rien de ce qui se passe autour de moi, tant par principe que par répugnance. Il y a bien longtemps que jai cessé de mendier ; les vieux passants me donnent quelque chose par habitude, par fidélité, parce quils me connaissent, les nouveaux venus suivent leur exemple. Jai une petite corbeille, posée à côté de moi, dans laquelle chacun jette ce quil juge bon de donner. Mais cest justement parce que je moccupe de personne, parce que je garde une âme et un regard sereins au milieu du tapage et de labsurdité de la rue, que je comprends mieux que quiconque tout ce qui concerne ma position, mes exigences justifiées. Cest pourquoi ce matin, quand un agent de police, qui me connaît naturellement, mais que, tout aussi naturellement, je navais pas encore remarqué, quand cet agent de police sest arrêté devant moi et ma dit : " Cest demain larrivée de lempereur, ne tavise pas doser venir ici ", je lui ai répondu par cette question : " Quel âge as-tu ? " . Franz Kafka, Journal, traduction Marhe Robert,
Grasset, 1956.
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