« rien des apparences actuelles »
Mardi 25 janvier 2005. - 11h30 (Chenay-Gagny) : le ciel se grise. 11h40 (Lagny) : la neige commence à tomber, le vent à souffler. Tout est blanc, les champs comme les tas de sable des travaux sur la voie. 12h07 : la neige diminue, une fine couche de givre recouvre la campagne. Certaines matières et textures retiennent la neige, d’autres non. Les traverses de bois entre les rails la retiennent, le rectangle couvert de pierres brisées entre les traverses, non. 12h21 : paysage à nouveau sous la neige. Toits blancs, terrains de football municipaux blancs, vignobles blancs. 12h27 : la neige souffle en tempête. 12h50 : sous la neige Pilly-la-Montagne porte son nom avec élégance. Je pense à Oumouch qui aime la neige et l’a écrit dans un poème. 13h25 : pas de neige autour de Rethel. 13h40 : la neige à nouveau. Une vache au pelage brun et noir. Une vieille femme en bottes et en tablier, tête couverte d’un fichu, qui promène son chien-loup sur un sentier le long de la voie. La neige éparse dans un champ vert : des fleurs de sel après que la mer s’est retirée ; des fleurs de coton arrachées par le vent et dispersées.
J’apporte à l’atelier le texte de Mikhaël mis en ligne par François Bon et que j’ai lu la veille et aimé. Il sera aujourd’hui notre point de départ.
Certains sont plus à l’aise pour écrire à partir de ce que j’appelle des textes à contenu, dont le mot « seul » ferait partie. D’autres sont à l’aise avec des points de départ plus éloignés d’eux, plus formels. Cette répartition n’a pas varié depuis le début du stage.
Voici le texte lu par Juliette après qu’elle a expliqué ce qu’est l’IRM :
Ce que je hais le plus au monde
Seule
Dans la salle d’attente de la clinique jusqu’à ce que je passe un IRM
Seule
Pendant plusieurs heures
Seule
Sous l’IRM j’ai peur d’être coincée
Seule
Je pense surtout à tous les endroits où j’aimerais être dans ces moments-là pour me donner du courage afin de passer cet examen médical
Seule
Je pense aux terribles instants de ma tumeur et tu meurs (pardon pour ce vilain jeu de mots) et ça revient en flash dans ma mémoire
Seule
J’essaie de gérer ma peur mais c’est trop tard, partout je me sens enfermée, même dans le métro, à cause de cette horrible saloperie que j’ai attrapée
Seule
Je pense à ma famille, à mes amis, à ma formation, à ceux qui me soutiennent, à l’équipe médicale qui est au top
Seule
J’attends à la fois patiente et pressée de sortir de l’IRM
Seule
Je sais que je n’apprendrai pas les bonnes nouvelles seule, il y aura ma mère, elle saura aussi, en même temps que moi
Seule
Je respire intérieurement, quand je suis dedans je me dis oups !
Seule
Quand l’engin se bloque je pense à ma taille et aïe aïe ouille ! je panique tellement
Seule
Je me dis que c’est un épouvantable cauchemar, que je rêve éveillée, j’aimerais me relaxer mais je ne peux pas
Seule
Je me dis qu’il faut bien qu’on surveille
Seule
Je me dis que c’est un examen de routine
Voici le texte de Samah :
Seule
Dans la France je suis toute seule
Seule
Je reste à la maison toute seule
Seule
Je fais les courses toute seule
Seule
Je vais au marché toute seule
Seule
Des fois je regarde la télévision toute seule
Seule
Je fais le ménage toute seule
Seule
Je pense à ma famille
Seule
Je pense à maman
Voici le texte de Delphine :
Seule
Dans mon lit je fais le vide dans ma tête pour m’endormir
Seule
Dans mon sommeil je rêve des journées merveilleuses
Seule
Dans ma chambre sans un bruit je pense à ma mère et à mon ami Xavier perdu
Seule
J’essaie de régler mes problèmes de toujours
Seule
Je pense à construire une famille à moi
Seule
Je pense que la vie passe trop vite
Seule
Devant ma télé je m’imagine que demain sera un autre jour
Seule
J’entends souvent mon petit ami me dire je t’aime
Seule
Je pense toujours chaque instant de ma vie à mon être cher
Seule
Je me dis qu’un jour ma vie sera finie pour toujours
Voici le texte de Laetitia, avec la belle reprise de la première phrase à la fin du texte qui le fait sonner comme une complainte :
Seule
Dans ma chambre j’écoute de la musique et ça m’arrive de bouder et je me pose des questions et je pleure
Seule
Devant la télévision je pense à mes amis et à ce qu’ils font
Seule
J’écoute des chanteurs et je chante leurs chansons
Seule
Je pense vivre à Tahiti
Seule
Je pense à monter une grande entreprise et à gagner ma vie
Seule
Je pense à ma grande sœur qui est loin de moi et à ma petite sœur qui est placée dans une famille d’accueil et que je ne vois pas souvent
Seule
Je pense à ma grand-mère qui, j’espère, ira mieux avec sa bronchite et que j’aime tant parce qu’elle s’est toujours occupée de nous et quand on avait des problèmes on s’est tous retrouvés chez elle, je veux qu’elle vive longtemps
Et enfin seule
Dans ma chambre j’écoute de la musique et ça m’arrive de bouder et je me pose des questions et je pleure
Avec Annie Gilles, responsable pédagogique du projet de l’abécédaire, et Arielle, qui l’assiste, cette semaine les stagiaires ont voyagé dans les livres sur Rimbaud de Claude Jeancolas jusqu’à Java.
Mouloud et Juliette ont écrit :
Folie de la nature
Si Rimbaud avait été en Indonésie à l’heure actuelle ou en 1883, il aurait essuyé des tsumanis meurtriers.
Il aurait vu les dégâts de ses propres yeux, les plantations détruites, les arbres arrachés, les coraux, les animaux, les hommes et les touristes prisonniers des eaux. On ne saura jamais combien de morts il y a eu.
S’il avait été en 1883 au bord de l’île de Sumatra et de Java, il serait sans doute mort : l’éruption du volcan Knalahloo a provoqué 36 000 morts.
Nous pensons que les éléphants ont senti s’annoncer ces deux catastrophes mais ils n’ont pas pleuré pour ne pas alarmer les populations locales.Signé : Mouloud et Juliette, professeurs à la Sorbonne.
Au retour, pleine lune sur la plaine enneigée de Rethel.
Bibliographie rimbaldienne : Des phrases de Rimbaud sont régulièrement choisies comme titres par les écrivains. En voici quelques-unes :
« Ah ! cette vie de mon enfance, la grande route par tous les temps » (Une saison en enfer, « L’impossible ») a été choisi par Colette Fayard qui a écrit Par tous les temps, un érudit roman de science-fiction.
« Aller où boivent les vaches » (Poésies 1872, « Comédie de la soif ») a été choisi cent ans plus tard par Roland Dubillard pour sa pièce Où boivent les vaches. Il en dit ceci en 1999 : « Où boivent les vaches est la plus importante de mes pièces. Le sujet c’est le doute d’un poète qui se rend compte que la gloire est truquée, truquée par le monde et la culture, par sa mère, son fils, sa femme et toutes les académies. Le poète tente de s’enfuir de ce monde. A la ville comme à la campagne c’est la même tromperie. Le titre est de Rimbaud, il dit : on ne part pas, j’y suis toujours. C’est une pièce sur l’eau qui coule comme la vie. » Dossier sur le site du CDN d’Orléans qui présente cette pièce dans la mise en scène d’Eric Vigner.
« Je nous voyais comme deux bons enfants, libres de se promener dans le Paradis de tristesse » (Une saison en enfer, « Délires I ») : Paradis de tristesse est le titre du premier roman d’Olivier Py (Actes Sud, 2002). Entretien dans L’Humanité.
« Voici le temps des Assassins » (Illuminations, « Matinée d’ivresse ») : Le Temps des assassins est le titre d’un essai sur Arthur Rimbaud écrit par Henry Miller en 1955 (traduction de Frédéric-Jacques Temple, Denoël, 2000). « Cette petite étude, précise-t-il dans la préface, est le résultat d’un échec de traduction d’Une saison en enfer, dans la forme que je me proposais. » Sorte de chromo naïf, il compare et associe les étapes de la vie de Rimbaud et de la sienne. Ca glisse des mains par un trop-plein de lyrisme et d’exaltation, dommage, peut-être faut-il mieux relire Crucifixion en rose où il raconte, dit-il, sa « saison en enfer ».