Sophie Loizeau |L’île du renard polaire de To Kirsikka

Je n’entends pas ici décortiquer le recueil de Sophie Loizeau, car il n’y a rien de mieux que de le lire.
L’oi[s]eau, de qui est-ce le nom ? Être qui occupe l’air et l’espace profond. Dont le mot, pétillant de toutes les voyelles (hautes/auteure), opposées à consonnes (basses/mineures) masse et terre, en serait le parfum.
Ce recueil est la tentative d’une traduction-transcription d’un authentique manuscrit partiel finnois, L’île du renard polaire, de To Kirsikka, retrouvé par hasard dans un vide-greniers. Envoyé à Sophie Loizeau depuis Helsinki, elle entreprend sa traduction vers le français. Or, si l’alphabet finnois comprend les 26 lettres de celui latin, 5 autres, dont des syllabes d’une autre échelle phonique, brouille la traduction « fictive ». Deux exemples, LOIŽEAU et/ou L’OIŠEAU, surmontés d’un signe diacritique en v peuvent en distinguer le son, le ton, l’élan, ou bien un homonyme. Une prestidigitation sémantique aboutissant à un changement de prisme poétique qui, sur le fond comme sur la forme, parviendrait à nous restituer l’âme de la poète finnoise To Kirsikka.
À l’opposé d’Apollinaire prévenant dans La Chanson du mal-aimé :

« Et je chantais cette romance
En 1903 sans savoir
Que mon amour à la semblance
Du beau Phénix s’il meurt un soir
Le matin voit sa renaissance.

Un soir de demi-brume à Londres » implantait Guillaume.

Ici, rien de pareil. Incertitude de temps et de lieux, d’îles : p. 114, dans « Brève histoire de To. K » résumé par Sophie Loizeau, To. K descend dans le temps. Apollinien, non : Dionysien.
S’agit-il de la fiction d’une fiction, pas seulement, mais d’exhumer la mémoire, présente et invisible dans la nature surnaturelle : impalpable comme celle d’un chien samoyède aboyant sa langue disparue. La peur, ainsi que la douce appartenance au tout de l’univers, sont toujours là, erratiques, comme le rapport de force du mâle plane au-dessus de la femelle. Tel un couvercle.
Comme To. K, nous y sommes bêtes parmi les bêtes, et peu à peu, se dessinent en filigrane l’âme et le portrait de la poète finlandaise sous l’œuvre de traduction de sa consœur française So. L
On croit y rencontrer une « confusion » dans les pronoms. L’origine des règles sociales et culturelles en usage (animalistes, chamaniques ou animistes) a-t-elle apporté jusqu’à nous des pronoms neutres sans que le genre masculin (To. K est profondément misanthrope, elle s’exile, erre en forêt) se les accapare exclusivement ? Exemple en note de bas de page, non pas de pronoms, mais de prénoms [1].
Quelques illustrations urgentes (dessins, photos) jetées par To. K, sont révélatrices du monde nordique, froid implacable, faible luminosité habitée d’ombres polymorphes : éther de mythes et légendes scandinaves, rituels païens. Sauvage n’est pas féroce, comme gentillesse n’est pas faiblesse, les deux pouvant le devenir à tout moment. Sous le texte, le sensitif soupire, inspire le moins possible, face à l’insaisissable.
En opposition à sa solitude choisie, la nocivité du genre humain, mais aussi l’interdépendance avec la nature suzeraine, à la fois douce – description de l’écorce rosée des bouleaux, de la Beauté hypnotique des animaux approchés, on devine leurs tremblements, entre illusion et réalité –, et indifférente, voire féroce : « le mâle de la mante (l’amante) se méfie ». Animaux, mammifères, renards prédateurs et humains chasseurs, même placenta.
L’incomplétude du manuscrit retrouvé ajoute à l’étrange. De l’humanimalité éclot le partage de l’espace et du temp avec les « bêtes », des bribes de zoopoétique.
Il s’agit d’un très beau livre (cousu), qui ne demande qu’une chose, qu’on y entre. Le faire, c’est se retrouver, se reconnaitre dans l’étrangeté, dans la crainte et l’inquiétude diffuse du temps inventé.
Une réussite !


Par la suite, cette colonisation masculine attribuera un préfixe relatif au prénom, dit particule intercalaire, définissant le genre : văn pour l’homme, thị pour la femme. Cependant, Loan, signifiant Oiseau de Lumière, est encore attribué aussi bien aux filles qu’aux garçons

André Bouny

12 mai 2024
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[1Au Viêt Nam, par exemple, les prénoms animistes n’étaient pas genrés, avant qu’advienne une forme d’inclination. Le prénom évoquant les valeurs et l’action est le plus souvent attribué à l’homme, tandis que celui à « connotation florale » va à la femme