Cowboy junkies

 

"Je glisse la cassette dans son papier cadeau, je la range dans ma poche. Du côté flou, gratté, comme photocopié de la photo du groupe je garde en mémoire la couleur, entre papier et cendre, ce beige brun de comptoir qui signe la pochette : c’est un début, c’est comme d’avoir déjà entendu la musique. Cadeaux éparpillés sur le matelas par terre, la cassette cherche sa place."

Au commencement, celui qui offre. Elle, celle à qui, celle qui (attend, écoute, écrit). Eux, un groupe de frères et sœurs, les Timmins, et cet album, Trinity Session, dont la légende dit, on le lit page 33, que le disque naîtra en une seule nuit, à Toronto, église de la Sainte Trinité, le 27 novembre 1987. Et ce texte pour revisiter, bien des années plus tard, l’émotion d’une découverte, le radio cassette posé sur le sol, ce qu’on fait avec la voix qui s’élève, ce qu’elle raconte, les fragments de paroles qu’on traduit et qu’on emporte partout avec soi.

Il y a la lumière, la ville, les études, le monde visible, et ce qui en vient jusqu’à soi, diffracté, dans ces chapitres brefs et rythmés où, souvent, la prose bascule ses rythmes et incline au poème.

"La fenêtre du sixième donne sur une autre fenêtre que deux bus séparent - leur chassé-croisé c’est tout le bruit de la pièce. Une petite bande de ciel, du zinc, quatre carreaux sur la moquette. Des deux côtés de la vitre, droite, gauche, la mansarde brise les rayons (soleil, poussière en transversale jusqu’aux pointes du lit) : tout est alors cubique, oblique et cubique à nouveau."

Il y a aussi, dans ce texte bref, un secret qui ne pèse rien, ne s’impose jamais, qui circule sans qu’on y prenne garde et que la musique tout à la fois recouvre et révèle. Et peu importe, au fond, qu’il s’agisse de cet album-ci (qu’on ne connaît pas mais auquel le livre saura nous mener) ou d’un autre (qu’on connaîtrait mais dont le livre nous arracherait aussi bien) si ce qui se dit concerne la toile que chacun d’entre nous a pu tisser, un jour ou l’autre, avec les quelques chansons d’un album, et l’enjeu qu’il y aurait alors à pouvoir, écrivant, tendre à nouveau cette toile, pour que nous soient rendus, intacts et enlacés, la forme d’une ville inconnue, le dessin d’une fenêtre, l’odeur particulière du plastique brûlé d’un siège dans un train Corail, ou l’amertume d’une tristesse convoquée dans le temps bref d’une chanson qu’on connaît par cœur. ("To love is to bury").

"De la chambre du sixième à la chambre d’hôtel, de la salle de cours à la salle d’attente, il faut tracer des lignes sans que le maillage gêne, emprisonne la musique. Et tout doit rester serré, une silhouette compacte qu’on peut identifier, un fil qu’on ne perd pas, alors que précisément le sujet c’est la boucle, la mise en boucle des mots qui vous attirent et ce qui s’en échappe.
Comment faire ?"

Ce que la musique ici accompagne, pour celle qui écoute ses souvenirs, la marche vers, l’attente de, il faut aller jusqu’au bout de la bande pour l’apprendre ou plutôt, le deviner.

"Comme s’il ne s’agissait plus d’écouter un disque mais de se mettre en chaîne, intérieur extérieur apports de l’extérieur recyclés dans la chambre à dix centimètres du sol, digérés, remixés pour ne plus faire qu’une pâte, une empreinte du corps absent / présent / à venir / qui guette de son côté et suppose sans doute autre chose."

Cowboy junkies est l’un des premiers titres de la collection Solo créée par les éditions Le mot et le reste en 2008, collection qui a pour projet le croisement, dans des textes courts, de la littérature et de la musique. Chez le même éditeur Anne Savelli a publié Fenêtres, Open space. Elle tient un blog, qu’on pourra visiter ici.

1er janvier 2009
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