#9 Dans le vent
Elle est partie une première fois avec lui. Devenue Marilyn elle accepte une nouvelle séance de photos contre l’avis de Jim, le mari revenu à terre, furieux de trouver chez son épouse autre chose qu’une femme d’intérieur qui ne cuisine pourtant que des petits pois carottes par plaisir d’allier les couleurs, vous le savez sans doute. C’est ce qu’on prétend en tout cas.
(on raconte également cette histoire de vache sous la pluie qu’elle aurait fait entrer dans cette même cuisine pour la protéger, dont j’ai déjà dit un mot. J’aime rappeler cette anecdote et voir sur certains de vos visages le signe d’un acquiescement, un air entendu, sur d’autres l’expression d’une surprise. J’aime vous regarder pendant que je vous parle)
Zoom, US camera, Laff, Leader, The family circle. Fière des magazines en une desquels elle apparaît de plus en plus souvent, qu’elle va finir par coloniser, elle commence à gagner de l’argent, s’achète des vêtements, n’a plus besoin de son marin de mari. André, l’athlète charmeur, le beau gosse amoureux, l’admire et le lui dit, ce que Jim ne fait pas. Seconde virée vers une plage de Malibu. André conduit, MM s’endort à l’arrière.
Cette fois, devant nous, il n’y a plus que la mer à regarder. Il n’est plus question de pull rose ou rouge, de chemise à carreaux ou de bikini bariolé. Cheveux tressés puis lâches, yeux fermés et sans maquillage, Marilyn offre son visage au vent. Une couverture sur les épaules, qu’on imagine rêche, trouvée dans le coffre de la Buick, elle se tourne vers la lumière, sourit, fait corps avec le paysage. Puis elle se ferme. Le vent rabat ses cheveux. Le tirage, alors, accentue la noirceur du ciel, assigne à la peau un teint de cire, rend les mèches pâteuses et rêches. Le gros plan donne l’illusion d’un masque de sable, ovale granuleux, front brillant. Fièvre et poudre, expression de dégoût et l’œil qui ne cille pas : un début de décomposition. André a demandé : imagine-toi morte. Disons que c’est la fin.
Elle a vingt ans, se fige, attrape le tissu noir et s’en couvre la tête, appuie ses paumes contre les tempes devenues invisibles, invente le fantôme négatif. Ce jour-là, contrairement à la veille où elle voulait vivre cent ans, elle perçoit le peu qui lui reste. C’est ce qu’écrit André en tout cas : vous pouvez retrouver le livre qu’il lui a consacré dans la langue de votre choix, il a été traduit, oui, contrairement à d’autres, le photographe commence à compter, à devenir artiste n’est-ce pas, nous en reparlerons si vous le désirez.
Marry me a été conservé d’origine.