Une lecture de "Sous le seuil", de Jean-Louis Giovannoni
Des livres de silence, il y en a peu.
Ceux qui bruissent du silence vivant des forêts, des corps au repos. Mille dents et pattes minuscules, mille coïts invisibles et naissances brusques, afflux et reflux du sang, respiration. Humains, animaux, insectes, pris dans le même mouvement, en trois temps, trois verbes : naître, nourrir, mourir, mais avant de mourir, à tout prix : se perpétuer.
Une découpe du texte en 21 tableaux, des phrases claires, tranchées. Une vérité âpre s’en dégage, celle d’une condition partagée.
Ce qui marque, surtout, à la lecture : ce rapport au temps, un texte qui, de page en page, compose la toile sans hiérarchie, où l’infime n’est pas le détail mais reflet de ce qui se joue à notre échelle : corps se cherchant, pitance, sang, tuaison, jouissance.
Texte polyphonique, qui dit la simultanéité : ovule ensemencé, dernier souffle d’une vieille femme, fourmis, abeilles, à l’aube. Oeuvre sans morale, qui délivre du bien-et-du mal, et trouve sa ligne dans l’attention aux invisibles, dans la droiture de phrases dont les pronoms personnels de première personne, "nous", "je", indifféremment désignent humains, insectes, bêtes petites ou grandes.
Beauté, parmi les autres, du 7ème tableau, consacré aux sangsues.
"Morsures, le sang afflue, ne coagule plus. L’homme crie, s’agite."
Plus loin :
"Notre salive guérit les thromboses, dissout les caillots, réduit les tuméfactions, empêche les rejets de greffes."
Plus loin encore :
"Nos petites ne connaîtront pas le sang".
"Sous le seuil", Jean-Louis Giovannoni, Editions Unes, 2016,