Une résidence aux forges de Syam et à la verrerie-cristallerie de La Rochère

En 2011 le Conseil régional de Franche-Comté m’octroie une bourse de résidence et de création, qui me permet, sous l’égide du Centre régional du Livre de Franche-Comté, Madame Pascaline Mangin étant directrice, de réaliser deux documentaires audio autour de deux sites du patrimoine industriel de Franche-Comté, les Forges de Syam, qui ont fermé, et la Verrerie-Cristallerie de Passavant-La Rochère, qui poursuit son activité.

Une bourse Brouillon d’un rêve, octroyée par la Scam (Société civile des auteurs multimédia) en 2009, m’avait, en amont, permis d’acheter un matériel d’enregistrement, ainsi que je le relate dans la présentation de ma résidence en Île-de-France, en 2010.

Sur le chemin d’une première résidence d’auteur en Franche-Comté, à la maison du peuple à Saint-Claude, en 1999, où nous avons habité cinq mois en famille avec ma compagne et nos deux filles, la micheline qui nous transporta de Dijon à Saint-Claude s’arrêta en gare de Syam, au nom si étrange, à l’entrée du parc naturel du Haut-Jura, d’où nous pûmes contempler, sous la neige, la Villa palladienne.

Monsieur Michel Prost, qui avait la responsabilité de concevoir les profils, et d’évaluer les opérations nécessaires à la création du produit final, et dont le père a aussi travaillé aux forges de Syam, m’emmène sur les lieux et m’accompagne à la rencontre des personnes qui nous confient leur parole : Régis Cornier, responsable de l’atelier d’étirage, comme l’était voici quarante ans Jean-Claude Vitton ; Mohammed Jhilal, chef d’équipe au laminoir ; Gisèle Chaffin, qui est venue vivre aux forges à l’occasion de son mariage avec un ouvrier des forges. Madame Chaffin me découvre les très belles créations photographiques de Mme Catherine Gardone, en résidence aux forges de Syam quelques années avant moi.

Mme Catherine Gardone a également œuvré à la verrerie-cristallerie de La Rochère. Je lui suis très reconnaissant d’avoir accepté, par ses créations de photographe, de mettre en valeur ces témoignages de personnes Dans leur travail, selon l’expression de John Berger.

À Passavant-La Rochère, je suis logé dans un immeuble dont les fenêtres ouvrent sur les champs où paissent les vaches, en lisière de la forêt. De l’autre côté, la fenêtre de la cuisine donne sur le jardin de Monsieur et Madame André Floriot, dont la maison est à l’entrée du village, et qui m’accueillent souvent le soir, quand je reviens de la verrerie-cristallerie. Les trois frères Floriot ont travaillé à la verrerie, la fille de l’un d’entre eux y travaille aujourd’hui. José Ferreira, tailleur et graveur de verre, est mon voisin dans l’immeuble. Son fils, Luis Ferreira, est souffleur de verre. Si une même famille préside aux destinées de la verrerie-cristallerie depuis plusieurs générations, l’engagement des ouvriers qui s’y emploient est également familial.

Écouter les voix, et de multiples fois à la faveur du montage, fait apparaître les visages, les gestes, dans les silences, les intonations laisse se dessiner les caractères. Si le propos est souvent technique, à travers lui nous entendons « l’onirisme du travail », selon l’expression de Gaston Bachelard. Ces personnes qui nous confient leur parole nous racontent la passion de leur métier, et l’aventure d’une vie.

Xavier Bazot

Syam - Crédit Catherine Gardone

« Enlevez les rêves, vous assommez l’ouvrier. Négligez les puissances oniriques du travail, vous diminuez, vous anéantissez le travailleur. Chaque travail a son onirisme, chaque matière travaillée apporte ses rêveries intimes. Le respect des forces psychologiques profondes doit nous conduire à préserver de toute atteinte l’onirisme du travail. On ne fait rien de bon à contre-cœur, c’est-à-dire à contre-rêve. L’onirisme du travail est la condition même de l’intégrité mentale du travailleur.
Ah ! vienne un temps où chaque métier aura son rêveur attitré, son guide onirique, où chaque manufacture aura son bureau poétique ! La volonté est aveugle et bornée qui ne sait pas rêver. Sans les rêveries de la volonté, la volonté n’est pas vraiment une force humaine, c’est une brutalité. »
Gaston Bachelard, La Terre et les rêveries de la volonté,
José Corti, 1947.

2 novembre 2019
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