Musée de la Résistance nationale

Ma résidence au musée de la Résistance nationale de Champigny s’est déroulée en 2010 et s’organisait autour de trois axes principaux, en lien direct avec les activités et la raison d’être du musée.

Je souhaitais réaliser des documentaires audio, à partir des témoignages que je recueillerais auprès de personnes qui ont vécu l’internement durant la Seconde Guerre mondiale.
Premièrement autour de la mémoire des soldats « Indigènes » prisonniers de guerre durant la Seconde Guerre mondiale, à ce titre internés dans des camps en France.
Deuxièmement autour de la mémoire des Tsiganes qui ont été internés (par décret de la République en avril 1940) durant la Seconde Guerre mondiale (et parfois au-delà) dans des camps français.

Dans le prolongement de la collecte de tels témoignages, et dans le cadre de l’accompagnement éducatif, au côté de monsieur Éric Brossard, professeur-relais actif au musée, je devais intervenir auprès d’un public scolaire, et animer, avec les professeurs, un atelier de création avec pour thématique la vie d’un de ces témoins, qui pouvait venir à la rencontre des élèves.

Nous voulions établir un observatoire des œuvres de fiction, d’auteurs vivants, écrites ou traduites en français, qui parlent de la Résistance et de la déportation durant la Seconde Guerre mondiale.
Un comité de lecture aurait sélectionné chaque année les ouvrages, celui qui aurait été finalement choisi aurait été distingué par la remise d’un Prix, le « Prix Georges-Perec ».

Quel bilan pouvons-nous dresser de ces différentes actions ?


Concernant les documentaires audio :

Grâce à une bourse de création Brouillon d’un rêve octroyée par la Scam (Société civile des auteurs multimedia) en 2009, j’acquiers un appareil d’enregistrement numérique Nagra Ares PII+, doté d’une capsule pour enregistrer des sons en stéréo, et d’un micro Neumann KM185 pour enregistrer les voix.
J’achète un micro LEM DO 21 B, microphone dédié aux enregistrements extérieurs, parce que la capsule comme le micro Neumann sont très sensibles aux interférences comme le souffle du vent, la manipulation
du Nagra.
Cet appareil fonctionne avec des cartes Flash. Je puis transférer les enregistrements effectués sur ordinateur, puis graver des CD audio afin de restituer, dans leur intégralité, leur parole aux personnes qui me la confient.


Concernant la mémoire des soldats « Indigènes » :

Ces personnes, qui avaient au moins 18 ans en 1939, sont aujourd’hui la plupart décédées. Parmi celles qui vivent encore, beaucoup sont retournées vivre dans leur pays natal.

Au début de notre résidence paraît justement un livre, de Mme Armelle Mabon : Prisonniers de guerre “ Indigènes ” - visages oubliés de la France occupée, aux éditions La Découverte.
Mme Armelle Mabon travaille depuis plusieurs années sur ce sujet, et consacre un chapitre de son livre, « Lutter pour la liberté », aux évasions de ces prisonniers et à leur participation à la Résistance française.

Grâce à Mme Armelle Mabon, je puis rencontrer monsieur Kiem Pham Van, soldat d’origine vietnamienne, âgé aujourd’hui de 93 ans.
Je réalise avec lui une dizaine d’heures d’entretien, à partir desquelles je construis une quarantaine de modules, d’une durée qui varie entre deux et sept minutes, qui retracent, par chapitres, sa vie, depuis sa plus tendre enfance, passée au Vietnam.
A cet effet j’achète un logiciel de montage, Logic Express 9.
Le travail que demande un tel montage est beaucoup plus conséquent que ce à quoi je m’attendais.
Cet entretien avec monsieur Kiem Pham Van, après montage, rejoint les archives du mRn.
Il est mis en ligne, pour une libre écoute, par monsieur Patrick Chatelier, sur le site remue.net, ce qui donne sa visibilité à mon travail.

A la lecture de L’Historien, l’archiviste et le magnétophone – De la constitution de la source orale à son exploitation-, ouvrage de Mme Florence Descamps, édité par le Comité pour l’histoire économique et financière de la France, je suis séduit par la méthode des « histoires de vies » suivie par l’école de Chicago, qui permet le développement d’une histoire orale « vue d’en bas ». Je découvre les thèses de Maurice Halbwachs , qui appelle les sociologues et la mémoire collective à restituer « une histoire vivante ».

Dans mes entretiens je n’utilise aucune grille (j’ai en horreur physique ces cases où l’on prétend faire entrer des vies), ne pose aucune question, que j’observe être contre-productives, je ne limite pas dans le temps la parole de la personne témoin. Simplement, j’écoute (et mon appareil enregistre).
Les personnes qui ont décidé de porter témoignage savent très bien ce qu’elles veulent dire, et maîtrisent totalement la manière de le dire, peut-être pour s’être déjà raconté maintes fois dans leur tête les événements qu’elles ont vécus.
J’essaie d’effacer au montage toute trace de mes éventuelles (et souvent intempestives) interventions.
En ceci je ne déroge pas à mon attitude en tant qu’écrivain, qui consiste non à parler, non à questionner, mais à écouter, si possible à me laisser oublier pour mieux m’imbiber, à la manière d’une éponge, des ambiances, des paroles, des situations.

Toujours grâce à madame Armelle Mabon, je rencontre un enfant de soldat originaire de Madagascar, monsieur Olivier Rajoelison.
Mon entretien est conduit avec monsieur Rajoelison durant l’été 2010. Le montage en est terminé. Toutefois, je donne à écouter ce montage aux personnes qui m’ont confié leur parole avant de la rendre publique par une mise en ligne sur remue.net. Nous sommes en train, monsieur Rajoelison et moi-même, de peaufiner le résultat de ce travail.

Je poursuis par ailleurs ma recherche d’autres personnes témoins, via les musées de la Résistance et de la déportation, l’Office national des Anciens Combattants et ses antennes départementales, et différentes associations comme Les Mariannes de la République, qui s’attachent à honorer la mémoire des Tirailleurs africains.
Sans grand succès je dois le reconnaître.
J’ai proposé à monsieur Alain Mimoun de recueillir son témoignage, mais je n’ai pas reçu de réponse de sa part à mon courrier.


Concernant la mémoire des Tsiganes internés :

Je travaille avec la Fnasat (Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes et les Gens du voyage), dont les associations membres prennent rendez-vous avec les personnes tsiganes qui peuvent témoigner et acceptent de le faire. J’organise avec ces associations mes déplacements en province pour recueillir ces témoignages. La personne responsable de l’association m’accompagne lors de l’entretien.

Grâce à Mme Christine Lecompte, directrice de l’Association pour la promotion des gitans et voyageurs en Haute-Loire, je me déplace au mois de juin 2010 dans la région de Brioude et du Puy-en-Velay. Je n’y rencontre pas de personnes qui ont été internées, mais leurs enfants. Je m’aperçois que leur témoignage est trop éloigné des faits, et que, s’il est toujours passionnant de recueillir la parole des personnes tsiganes, celle-ci ne ressortit pas directement à mon sujet.

Grâce à une famille manouche que je connais et qui habite en Essonne, et grâce à M. François Lacroix, ancien directeur de l’ADGVE (Association départementale des gens du voyage de l’Essonne), je puis m’entretenir avec « Bébé », M. René Debarre, âgé aujourd’hui de 72 ans, interné avec toute sa famille dans différents camps, dont celui de Montreuil-Bellay, de l’âge de un an à celui de six ans.
Cet entretien, après montage, rejoint les archives du mRn.
Sa mise en ligne, par les soins de Patrick Chatelier, sur le site remue.net, assure sa visibilité.

Toujours grâce à M. François Lacroix, Éric Brossard, professeur-relais attaché au mRn, et moi-même, nous rencontrons et nous entretenons avec M. Raymond Gurême, né en 1925, qui a été interné au camp de Linas-Montlhéry, dont il s’est évadé par deux fois. La vie de M. Gurême, déporté en Allemagne, à nouveau évadé, qui a rejoint les rangs de la Résistance, est un vrai roman.
Patrick Chatelier a mis cet entretien en ligne.

Le 9 novembre 2010, dans le cadre de la résidence, le mRn organise au studio 66, à Champigny, la projection du documentaire de M. Raphaël Pillosio, Des Français sans histoire, à propos de l’internement.
Un débat avec le public, animé par Eric Brossard, en présence de Raphaël Pillosio, suit la séance.

Au mois de janvier 2011 je vais à Sarrebourg recueillir, grâce à Mme Liliane Gabrys, de l’association Amitiés tsiganes, le témoignage de Mme Marie Hubert (« Tchaia »), née en 1939, qui a été internée avec sa famille dans différents camps, dont celui d’Argelès sur Mer.
Ainsi que le témoignage de monsieur André Ney, dont les parents ont été déportés dans un camp de travail à Katowice, en Pologne.
Ces deux entretiens, après montage, ont rejoint les archives du mRn.
Patrick Chatelier les a mis en ligne sur remue.net

Au mois de mai 2011 je vais à Forbach, toujours grâce à Liliane Gabrys, de l’association Amitiés tsiganes, et je rencontre deux autres témoins, Mme Hélène Mehrstein (« Bimbam ») et monsieur Nicolas Lorier.
Patrick Chatelier a mis en ligne ces deux entretiens.

Au mois d’août 2011 je me rends à Saint-Jean d’Angély, où je rencontre, grâce à monsieur Stéphane Coudret, du Centre social Les Alliers, madame Mady E.Tanner, qui a été internée avec sa famille, de l’âge de neuf mois à celui de six ans, au camp des Alliers. Mady E.Tanner a épousé après la guerre un soldat américain, monsieur Harold J.Tanner et vit désormais avec son époux au Texas (U.S.A.) Ils reviennent l’été à Saint-Jean d’Angély.
Cet entretien est en cours de montage.

Nous avons ainsi un corpus de 7 témoignages de personnes tsiganes qui ont été internées dans des camps français durant la Seconde Guerre mondiale

Un nouveau déplacement est envisagé dans la région d’Angoulême pour recueillir, avec M.Stéphane Coudret, les témoignages d’autres personnes qui ont été internées au camp des Alliers, mais je me heurte aujourd’hui à un problème financier, car le coût des billets de train et de mon hébergement sur place (même en gîte) n’est plus aujourd’hui à la portée de ma bourse.

De même, je devais me rendre en Ariège recueillir le témoignage de madame Rosa Winterstein, avec laquelle l’association départementale du Secours catholique se proposait d’organiser un rendez-vous, mais je dois pour l’instant suspendre ce voyage.

Je salue l’existence du site remue.net, et le remarquable travail de Patrick Chatelier, qui crée la présentation de ces entretiens pour leur libre écoute en ligne.
Sans cette fenêtre vers le public, ces documentaires audio ne connaîtraient ni exploitation ni visibilité.


Concernant l’accompagnement éducatif :

Suite à notre rencontre avec M. Raymond Gurême, Éric Brossard, professeur-relais attaché au musée, et moi-même, avions pensé travailler avec deux groupes d’élèves de niveau troisième et leurs professeurs.
L’un de ces groupes serait venu de classes qui dépendent de l’académie de Créteil, que monsieur Brossard connaît bien, le deuxième de classes qui dépendent de l’académie de Versailles (Essonne).
La vie de monsieur Gurême, lequel souhaite porter le plus possible témoignage de tout ce qu’il a vécu, aurait servi de trame au travail de création des élèves.
M. François Lacroix nous avait orientés vers la Bande Dessinée, qui n’exclut pas le texte écrit.
Une première rencontre avec les élèves aurait eu pour objet de les renseigner et sensibiliser au contexte historique, et au drame vécu par la population tsigane lors de la Seconde Guerre mondiale, et plus précisément en France.
Le centre de ressources de la Fnasat met à disposition de telles initiatives une exposition sur ce sujet.
La venue de monsieur Gurême aurait eu lieu à la suite, afin de lancer le travail de réflexion et de création.
Nous possédons plusieurs enregistrements de monsieur Gurême, effectués par M. Lacroix ou par moi-même, qui aurait pu servir de soutien au long de ces ateliers.
Une deuxième rencontre des élèves avec monsieur Gurême aurait été envisageable à mi-parcours.

Malheureusement ce projet, finalisé avec Eric Brossard et grâce aux conseils de François Lacroix, autour de la réalisation d’une bande dessinée sur la vie de monsieur Raymond Gurême, n’a pu être conduit au cours de l’année scolaire 2010-2011, le mRn n’ayant pu trouver les classes et les professeurs, dans l’académie de Créteil ou dans celle de Versailles, susceptibles d’être intéressés par notre proposition.
Peut-être avions-nous été trop ambitieux en visant l’objectif de mobiliser deux classes.
Interrogé par le mRn et monsieur Eric Brossard sur ma disponibilité durant l’année scolaire 2011-2012, j’avais répondu que j’étais encore disponible, même si je devais alors chercher d’autres sources de financement de mon temps que la bourse qui m’avait été allouée par la Région Ile-de-France. J’avais suggéré que nous essayions de trouver, ce qui aurait déjà été une réussite, une seule classe, peut-être dans un lycée qui proposerait une option, voire une formation, en arts plastiques.
Je suis, depuis, resté sans nouvelle de la part du mRn à ce sujet.


Concernant l’observatoire des œuvres de fiction, d’auteurs vivants, écrites ou traduites en français, qui parlent de la Résistance et de la déportation durant la Seconde Guerre mondiale :

Le musée de la Résistance nationale avait contacté les ayants droit de l’écrivain Georges Perec, car nous avions souhaité donner au prix qui couronnerait le(s) livre(s) lauréat(s) le nom de l’auteur de La Disparition.
Les ayants droit de Georges Perec avaient donné au mRn leur accord.

Le mRn avait proposé à M. Pierre-Louis Basse, journaliste et écrivain, de faire partie du comité de lecture. Le mRn dispose d’un réseau de connaissances suffisamment riche pour constituer un comité de lecture prestigieux. Je précise que, si l’idée d’un tel observatoire vient de moi, je ne souhaitais pas appartenir à ce comité.
Cet observatoire ne pouvait exister sans la perspective d’un Prix. En effet, les maisons d’édition sont pragmatiques. Elles ne perdront certainement pas leur temps à sélectionner les ouvrages sur le sujet et à les adresser gratuitement au mRn, juste pour constituer un fonds qui rejoindrait les archives du mRn.
Sans Prix, c’est-à-dire sans enjeu, pas de comité de lecture, pas de dynamique, pas de publicité offerte aux livres qui traitent ce sujet.
Mais un Prix doit être à même de pouvoir récompenser financièrement le ou la lauréat(e). Une somme de 3 000 euros avait été pressentie.
Malheureusement, le mRn, malgré tous les efforts qu’il a déployés, semble ne pas avoir trouvé, à ce jour, ce financement.


Dans le cadre de la résidence, je suis intervenu le 10 février 2010, à Choisy-le-Roi, dans une manifestation organisée par les Archives départementales du Val-de-Marne sur le thème : « Parcours de migrants ». J’y ai lu des passages de Camps volants, mon dernier ouvrage publié, aux éditions Champ Vallon,
qui parle des manières nomades d’habiter un paysage aux limites de la ville.

Les deux projets, de l’accompagnement éducatif, et de l’observatoire des œuvres de fiction, d’auteurs vivants, écrites ou traduites en français, qui parlent de la Résistance et de la déportation durant la Seconde Guerre mondiale, n’ont pas été réalisés.

En revanche, la collecte que je conduis, de témoignages oraux auprès de soldats « Indigènes » et surtout de personnes tsiganes, la réalisation de ces nombreux documentaires audio, qui ne seraient pas accessibles au public sans le site remue.net et le travail de Patrick Chatelier, constitue à mes yeux la réussite de cette résidence.
Cette collecte de témoignages, et leur partage au public, n’auraient pas été possibles sans la bourse de création de la Région Ile-de-France.
Cette entreprise de collecte et de publication sur remue.net se prolonge au-delà des dates strictes de ma résidence, et pourrait s’enrichir de nouveaux témoignages, à condition que je puisse financer mes déplacements en province, nécessaires pour que je puisse y rencontrer les personnes qui ont été internées.

La bourse de résidence délivrée par la Région Ile-de-France est aussi une bourse de création.
J’ai en chantier un roman dont l’idée me vient lors d’une résidence d’un mois à Turin, à l’invitation de M. Jean-Pierre Pouget au Centre culturel français, en 2003.
La ville de Turin me marque fortement, notamment un immeuble, celui où habitait Antonio Gramsci, et où se trouvait l’imprimerie de l’Ordine Nuovo, le journal qu’il a fondé.
La personne et l’œuvre de Gramsci seront présentes dans ce roman, qui parlera de résistance, non contre le fascisme, mais contre l’oppression économique dont prend aujourd’hui le visage une nouvelle forme de dictature.
Locataires de cet immeuble, livré aux marchands de biens, les habitants organiseraient la résistance, en se référant à Gramsci et en se plaçant sous son efficiente protection…

L’écriture de mon roman prend ses racines dans l’espace de ma résidence, et de la vie de ma famille, au quotidien, dans un immeuble qui a été vendu à la découpe, et dont nous sommes présentement les derniers locataires (donc à vrai dire les seuls résistants). Je suis en ce moment plongé dans la lecture des Cahiers de prison et des articles de Gramsci. Je suis de plus en plus lent à écrire mes livres, ce qui est bon signe. La situation biographique à l’origine de l’intrigue est en pleine évolution. Je ne manque pas de matériau.

Enfin, à titre personnel, j’ai réalisé une promesse que je m’étais faite au cas où cette bourse me serait attribuée : je me suis rendu en mai 2010 au rassemblement au Plateau des Glières.


1er mars 2012
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