1/12. Magnifique un tout petit peu avant d’être beauté morte

Nastassja Kinski, Paris-Texas

Bibi Anderson, Ava Gardner, Nastassja Kinski, Kristin Scott-Thomas, Faye Dunaway, Samantha Morton, Sandrine Bonnaire, Julie Andrews, Nobuko Otowa, Juliette Binoche, Penelope Cruz, Christine Boisson, Dominique Sanda.
Il y a un plaisir presque érotique à les citer toutes, ces actrices, même si, comme moi, l’on n’est pas un cinéphile fétichiste. Elles sont treize et ont incarné treize personnages, dans treize films. Le plus ancien date de 1951 (Pandora, d’Albert Lewis), le plus récent est sorti voici trois ans (Volver, de Pedro Almodovar). Treize personnages magnifiques, donc, collectionnés au fil du temps par un spectateur nommé Christophe Fourvel. On connaît la citation de Truffaut, « le cinéma, disait-il, c’est l’art de faire faire de jolies choses à de jolies femmes ». Mais il serait réducteur de s’en tenir là, à un simple catalogue de jolies actrices.

Généralement, les écrivains écrivent leurs lectures. Ils évoquent les livres qui ont marqué leur vie, se brodent une biographie au travers de la littérature, parlent d’Albertine comme s’ils l’avaient connue et se pâment sur la trop romantique Emma. Fourvel déplace un peu l’exercice et constitue non pas un livre de lectures, mais un livre de visionnages.
« Sans doute ai-je pris les films pour des livres comme les autres », prévient-il en quatrième de couverture, et il entremêle étroitement ces films à la vie. Car les films comme les livres sont des lieux d’apprentissages, de questionnements comme d’éblouissements. Ils nous révèlent brusquement la peau humaine des choses, le derme de la réalité.

« Parfois, mais seulement parfois, écrire est une manière de chausser des lunettes de soleil au moment d’un éblouissement ».

On peut les confondre avec de vrais souvenirs, on se souvient de celui que l’on été lorsque l’on a vu pour la première fois telle scène. On peut emprunter aux films des citations, des répliques. Penser aux films, comme penser aux livres, c’est penser à soi, c’est se retrouver à l’instant de la première projection.

« Revoir ces films, pleins parfois de vieilles réponses que je ne demande plus. Je retrouve une photographie de moi-même, coincée dans les bobines d’Identification d’une femme » (de Michelangelo Antonioni, avec Christine Boisson).

Si les femmes sont sur le devant de la scène, les films servent aussi à l’édification d’une conscience politique.

« Un des secrets pour la réalisation de ces ambitieuses entreprises, écrit Fourvel en parlant du nazisme, est de bien veiller à la conservation de l’indistinct. Les théoriciens de la barbarie ont dû observer que plus un troupeau est uniforme, moins la disparition d’une bête est attristante et remarquée. » (au sujet d’Un été inoubliable, de Lucian Pintilié, avec Kristin Scott-Thomas)

Avec pudeur, l’auteur entremêle autobiographie et rencontres avec quelques personnages incarnés par des actrices. Parfois belles, parfois inquiétantes, parfois elles ne sont là que pour « brider la joie » (Julie Andrews dans Mary Poppins dont Fourvel démontre le monstrueux égoïsme).

Les films, Fourvel les raconte, comme l’on résume à un ami une histoire qui nous a plu, en omettant, en exagérant les détails qui nous touchent. Les treize films en question, d’ailleurs, il ne les a pas tous revus pour écrire le livre, il se fie à ce qui reste en lui des émotions et des images d’alors. Pour ma part, je n’en ai même pas vu la moitié de ces films, et cela ne gâte en rien le plaisir que je ressens lorsque l’on me les raconte, c’est ce que l’on appelle le partage. Fourvel nous fait partager des saisissements, de émois, des réflexions et des souvenirs de scènes inventées par d’autres. Il nous offre treize fictions qui sont devenues des parts de lui-même. Tant mieux si les guides de ces souvenirs sont treize femmes magnifiques.

Le projet, au final, est très vaste, il ne s’agit pas seulement de parler des femmes (j’ai envie de reprendre une citation du film de Philip Kaufman L’insoutenable légèreté de l’être, où Juliette Binoche s’interroge : « Mais qu’est-ce qu’ils ont tous avec les femmes à poil ! Elles sont donc si intéressantes ? », citation à laquelle on pourrait mettre en écho une réplique du Mépris de Godard : « c’est formidable le cinéma. On voit des filles avec des robes, le cinéma arrive et on voit leur cul ». Le projet est peut-être de parler d’une culture, populaire, et d’en dresser un tout personnel éloge.

« Je crois depuis très longtemps que la technique du cinéma était destinée aux gens pauvres. C’est une invention pour compenser les exigences brutales que la société impose à certaines vies. Un miroir pour les gens qui n’ont pas le temps de se regarder vivre et qui rend bouleversant les yeux rouges épuisés, les rides profondes qu’on n’a pas vu venir. »

Portraits de femmes magnifiques, de Christophe Fourvel. Editions l’Escampette

Christophe Fourvel est né en 1965 à Marseille et vit près de Besançon, il a publié plusieurs livres à la Fosse aux Ours (Derniers paysages avant traversée, Dumky, Des hommes), aux Éditions la Dragonne (Journal de la première année, Anything for John, Montevideo, Henri Calet et moi) et aux éditions de L’Escampette (Portraits de femmes magnifiques). Il écrit également pour la jeunesse, développe des travaux en collaboration avec des plasticiens, photographes, ou la danseuse Geneviève Pernin.

8 janvier 2009
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