2 novembre 2024, un site disparu

Quand Laurent Grisel m’a proposé de mettre à jour son site PoesiesChoisies.net, il ne fonctionnait plus parce qu’il avait été programmé dans une version du langage PHP trop ancienne. Les hébergeurs de sites web mettent en effet à jour leur plateforme, progressivement, jusqu’à ne plus garantir le support technique et à empêcher le fonctionnement pour raison de sécurité. C’est ce qu’il s’était passé pour Poésies Choisies, on ne pouvait plus le lire.

PoesiesChoisies.net essaie donc de répondre à ce défi : qu’une lecture littéraire soit possible sur écran [1]

Le site a été pensé par Laurent Grisel dès 2001. Claude Mamier et Philippe Dulauroy ont développé la base de données, l’interface a été développée par Nicolas Lichtenstein.

Raymond Queneau, Battre la campagne. 1968, Gallimard

Une des problématiques de la lecture de poésie en recueil papier est la fin de page qui n’est pas toujours la fin du poème. Comment couper une strophe ? Comment organiser la mise en page pour bien finir, ou pour éviter qu’un poème ne commence écrasé tout en bas à la suite d’un autre ? Ne pas couper les sonnets, ni les quatrains. Avec l’écran, il y a une possibilité de ne rien couper du tout. Pourtant, Poésies Choisies a préféré choisir la page comme unité pour des raisons ergonomiques. À l’époque, Laurent Grisel signale l’existence d’une coupure malgré la continuité de l’écran :

si on utilisait sans réfléchir les fonctions utilisées de façon routinière par les développeurs, il n’y aurait pas de coupure comme pour un livre dont on tourne la page mais il y aurait un ascenseur à droite. Ce n’est pas un avantage de l’écran sur le papier. Du point de vue de la lecture littéraire, c’est une catastrophe : parce qu’il y a quand même coupure et parce qu’il y a déstabilisation de la page. En effet, il y a quand même coupure, rupture de l’attention, puisque nous devons faire défiler la page vers le bas ; pour cela, on sort le curseur de la zone de lecture, on le pointe sur la barre d’ascenseur qui est toujours trop fine, et bien sûr on doit le descendre : pendant tout ce temps on ne lit plus.

Je vois cela comme une contrainte technique de l’époque, cet usage de l’ascenseur à pointer. Je n’ai pas visé avec ma souris un ascenseur de fenêtre depuis des années : roulette de souris, deux doigts sur le pad d’un portable, écran tactile... Mais c’est peut-être aussi une question singulière à chaque utilisateurice, j’ignore si beaucoup de personnes essayent d’attraper les ascenseurs quand il existe tous les moyens de ne pas avoir à le faire. Depuis 2001, je pense que cet usage particulier doit être considéré acquis, par exemple, sur le présent site, depuis 2022, 54% des visites se font depuis smartphone ou tablette, donc un peu moins que la moyenne des sites. Le reste des visites, sur ordinateur, je me demande quelle proportion de personnes n’utilise pas la roulette de la souris, ni deux doigts sur le pad, pour faire défiler facilement. J’ai toujours trouvé plus facile de lire sur écran d’ordinateur que sur téléphone, mais il est certain que c’est un usage de plus en plus minoritaire, sans doute lié à l’âge.

En fait, je suis d’accord et pas d’accord avec :

rester au plus proche, géographiquement parlant, du texte lu, limiter le plus possible les mouvements du curseur, de la souris, et en même temps rester dans une page stable

Car, si la page peut rester stable, elle doit l’être dans les conditions de son support. On n’a pas pensé, en fabriquant le livre relié, à limiter le plus possible les mouvements des doigts, des feuillets, et rester au plus proche du rouleau... On s’est adapté à la forme livre qui était ce qu’elle était. Pour l’écran, je pense qu’il faut éviter de plier en quatre le cristal liquide, et plutôt chercher à rester stable et fluide dans les conditions qu’il propose pour en profiter au mieux.

Mais tout cela, au moment de reprendre les nombreux fichiers de type PHP qui forment le programme source de Poésies Choisies en vue de les traduire dans une langue informatique plus récent, à jour et sécurisée, dans la version de PHP 8.3, la dernière, tout cela, je n’y pensais pas.

Capture d’une page de l’ancien site, préservée par Web Archive le 6 janvier 2004.

14 décembre 2024
T T+

[1Les citations et illustrations (de livres) sont de Laurent Grisel, extrait de Horizontal, profond : lire de la poésie sur écran, Colloque de Cerisy-la-Salle, 2005