À notre humanité
Roman de Marie Cosnay.
Puisant aux sources, relisant en particulier les témoignages recueillis sur place par Prosper-Olivier Lissagaray, elle bâtit son roman en en éparpillant les séquences, leur faisant parfois prendre l’air d’un autre temps, façon de montrer (en évoquant l’engagement de l’italien Elio Vittorini et celui de l’espagnol Ramon Sender dans leur combat contre le fascisme et le franquisme) que la manière dont fut réprimée cet événement a, depuis, été fréquemment utilisée.
« Vingt sept ans après les événements de 1871, Lissagaray s’explique dans la Revue blanche. L’historien à qui Marx refusa la main de sa fille cadette résume ainsi les causes de la chute de la Commune : n’avoir pas occupé le Mont Valérien. Avoir attendu le 3 avril pour marcher sur Versailles. Avoir laissé le comité central s’ingérer dans les affaires après les élections. Légiférer et légiférer alors qu’il fallait combattre. »
Ce que décrit Marie Cosnay, c’est l’avancée, sur tous les fronts, des soldats des troupes versaillaises qui ont en charge de réprimer la Commune en ne faisant aucun prisonnier. Les insurgés résistent comme ils peuvent. Les autres avancent. On tue à tour de bras. On exécute au Père Lachaise. à Montmartre et aux Tuileries.. On fusille au Luxembourg, dans la cour du Sénat ou le long du mur de la prison de la Roquette. « Boulevard Malesherbes, les Versaillais tirent sur les fédérés qui tombent les uns après les autres ». L’un d’entre eux affronte le feu des balles en criant « à notre humanité ». La Seine prend des teintes de plus en plus rougeoyantes. Là où les barricades brûlent, des centaines et bientôt des milliers de morts jonchent le sol. On vide son chassepot sur le corps des gisants qui n’ont pas encore tout à fait cessé de respirer. Ainsi Nathalie, qui se jette aux pieds de son mari Édouard que l’on vient d’abattre contre le mur de la prison. Une première balle a « fait danser » son corps. Le soldat a pitié. Cela ne l’empêche pas de tirer une seconde fois sur la jeune femme qui tressaute et meurt en quelques secondes.
Cette histoire dans l’histoire, celle d’un couple exécuté parce qu’Édouard, le révolutionnaire, l’internationaliste, a été dénoncé par sa propre belle-sœur pour que Emmy, leur fille de six ans, puisse avoir la vie sauve, court tout au long du roman.
« Emmy ne se lasse pas d’entendre, dix ou quinze ans plus tard, sur le bord du canal où ils viennent pour leur satisfaction, les bourreaux en confidence. »
L’enfant qui eut la vie sauve en 1871 et qui finira par sombrer dans la folie erre, dans les années 1885, 1890, au bord du canal de l’Ourcq où elle offre son corps aux soldats en leur demandant, en échange, de lui raconter les souvenirs de leur massacre.
« Elle les reçoit. Ils parlent. Elle prend note de leurs confus souvenirs et malheureuse fierté dans un cahier qu’elle appelle registre et qu’elle cache entre sommier et matelas.
L’écriture de Marie Cosnay est sensible et nerveuse. Elle passe de l’âpreté à la douceur et réussit, grâce au souffle qu’elle insuffle à ses phrases et à la belle alchimie qu’elle créé entre ses références et son imaginaire en éveil, à tisser les lambeaux (il ne peut pas en être autrement) d’une histoire qui déborde et dépasse celle qui sert, au départ, de cœur à son roman.
Marie Cosnay : À notre humanité, Quidam éditeur.
Quidam vient, par ailleurs, d’inaugurer une collection "poche" dans laquelle on peut retrouver, outre des rééditions (tel le vertigineux Le son de ma voix, lente descente aux enfers d’un cadre alcoolique en Écosse, de Ron Butlin), de courts textes inédits, ainsi Le vent d’Anatolie, de la romancière grecque zyrànna Zateli, (échange captivant entre un enfant "bizarre" et une vieille dame malade) et L’autre vie de Valérie Straub, roman percutant dans lequel Stéphane Padovani suit les premiers pas à l’air libre d’une femme qui sort de longues années de prison sans pouvoir, pour autant, vivre pleinement (loin s’en faut) la liberté qu’elle avait tant espérée.