Biagio Cepollaro | Vers nouveaux
je l’ai vue encore
je l’ai vue encore détendue la ligne belle et droite
de la mer et la stupeur pensant au vivant et non
obstant confusion portée par la haine par notre huile
il faut juste oublier débrancher d’un coup
la prise
vingt ans à mettre des briques à croire qu’édifier c’est ajouter
sommets vingt ans dans
l’idée
du haut et du bas à mesurer ce qui est fait avec ce qui est à faire
ce que je fais avec ligne droite qui dégaine vagues ouvre
et ferme
pages
ouvre
et referme
cette densité de molécules tendres qui s’affinent affinent jusqu’à ce qu’elles soient plus
légères
que l’air
ainsi j’imagine qu’on s’embrasse et je dis il faut stabiliser cette intensité
des iones en faire une splendide habitude comme le calme chaud du nucléus
de la terre tout feu et métal tout lenteur de rotation pour que dessus
il y ait herbe et eau et nous qui nous demandons encore si ce qui est sur la terre
est une bonne chose
vingt ans à mettre des briques à croire qu’édifier c’est ajouter
et non pas diminuer
vingt ans égaré dans l’actualité en simulant histoire le croisement de misères
sans présent qu’il appellent activité intellectuelle tu les vois toi aussi
sur les visages
écrites la terreur de disparaître et l’illusion d’arriver à s’en sortir par seule voie de
malignité
et il ne devrait pas il ne devrait pas y avoir autant de rage
car chaque rupture fait un crochet au flux
de compréhension chose aveugle chose trop de
soirs c’est comme si on retournait à zéro
le chat qui sur la branche en avant
et en arrière n’a pas le courage
de sauter le mille-pattes qui pense à l’avant
et à l’après
et ne fait plus un pas
la volonté n’y est pour rien et ne croît pas
à la fin
ce sera comme un reflet distrait pour nous aussi
le bien
et ce qui au contraire on attendait d’eux - de nous - c’était
avoir traversé
une fois pour toutes décidé de descendre comme le fait l’eau
sur la pente
vers le bas
non pas rester à flot quoi qu’il arrive
certains s’agrippent à la carcasse de l’aile
certains à la table qui une fois fut dans le salon des réceptions plaît à ce point
l’idée du naufrage
qui parle d’eux - de nous - en un jour quelconque arrêtés au feu
revenant du travail la quille immense renversée les lumières vers le haut
mal en point appuyés sur ce qui autrefois était le plafond
mais après on embraye et la mer retourne dessous
comme un truc
d’agence
de voyages
et il s’agit de diminuer
devenir source laisser tomber aller
pour revenir et déplacer de l’eau
toute cette eau qui ne croît pas ne se perd pas et veut
s’abattre devenir mur et écume pour après calme
ment se retirer infiniment se retirer
Traduction : Andrea Raos avec la collaboration de Jean-Jacques Viton
Le choix difficile de Biagio Cepollaro
Traverser l’écran. Se laisser traverser par la banalité, par le flux des images, des idées fixes, par les vagues tièdes des émotions encore possibles. S’installer, sans réserve, dans la petitesse de sa propre vie, dans la banalité des ses mots, dans le murmure incessant du calcul, et là, bien abandonné à cet actualité sans fond ni bornes, esquisser des contours. Des contours non pas dès barrières, des formes hypothétiques non pas des formes traditionnelles, des rythmes changeants non pas des mètres fixes. Le contour n’est pas une frontière qui sépare le dehors du dedans, mais un désir de séparation, qui ne connaît pas encore ce qui est du côté du moi et ce qui est du côté du monde. Pour tracer de contours, il faut s’exposer à la langue-marchandise et aux formes des vies ordinaires : c’est à partir du dehors, de la spatialité du spectacle, qu’on cherche les mots du dedans, à savoir les mots de notre temporalité physique et biographique, individuelle et historique. Il s’agit d’un exercice de pensée, d’une méditation, mais sans doctrine religieuse ni philosophie. Une médiation pour tracer, au milieu de la multitude des ombres, la figure d’un possible visage, à la fois individuel et commun.
Il s’agit encore de poésie ? Comment s’assurer de l’identité de ce discours ? De son appartenance ? C’est le grand risque. Le risque majeur pour tous ceux qui veulent dépasser le maniérisme, non pas par la voie illusoire du vitalisme et du spontanéisme mais par le passage étroit de la pensée, de la méditation discontinue et rythmée.
Andrea Inglese,