Claude Louis-Combet, Les Errances Druon
Ce sont les deux grandes tensions antagonistes de la littérature qui se trouvent nouées dans Les Errances Druon de Claude Louis-Combet (Corti, parution 2 sept. 2005), l’affrontement qui s’engage déjà dans le Roman de la Rose entre Guillaume de Lorris et Jean de Meun, au XIIIe. siècle : il en va de la vision de l’amour et, à travers elle, du statut de l’écriture, de la manière dont la narration se saisit du désir, et du basculement qui a précipité, sans la vaincre, la Fin’Amor (amour courtois) dans l’assouvissement des glandes. Mais il en va aussi de la manière dont le langage soulève le sacré, se purge du salut et conquiert le réel, porté par l’appétit, et la lumière du périssable.
Ecriture sur la bascule, dont le pivot reste ancré dans la douleur, jusqu’à l’anéantissement de la question même de son tourment, jusqu’à l’épuisement de la foi, l’assèchement la plaie, l’abrasion du sexe.
Les Errances Druon poursuivent « la ligne d’horizon, parfaitement rectiligne, en la zone tremblée où le ciel et la terre se délimitaient réciproquement dans la confusion d’un échange incessant ». Trajectoire rectiligne qui n’est cependant pas le chemin le plus court, celui de Lancelot lancé à la poursuite de son amour, mais le territoire des peines et du lent apprentissage de l’immobilité.
Naître et mourir dans un même effort de chair...
Druon est l’errant des lisières, déchiré entre besoin et liesse, qui ramène au motif de l’entre-deux, tous les élans possibles entre les êtres, toutes les fuites et les convulsions qui poussèrent déjà les héros médiévaux à transgresser cette bordure pour vivre (Perceval quittant la forêt pour accomplir son destin), ou pour se perdre (Yvain errant sans esprit dans la forêt de longue attente). Druon, lui, se tient « à l’orée du bois », et l’appariement infini du ciel et de la terre, qui le porte, lui arrache le ventre et démantèle son âme, libère le récit, pour réactualiser l’amorce de l’invention du monde.
Dessin : Ben Ami KOLLER. Ben-Ami Koller, diplômé des Beaux-Arts de Bucarest, est né à Oradéa, Roumanie, en 1948. Il consacre sa vie artistique au dessin figuratif et s’est engagé dans un pari difficile... « comment transformer le trait noir en flux colorés » ?