Dans les vagues on lit, avec Olivier Matuszewski

Dans les Wagons-cris, lu par Nathalie Brillant-Rannou.
Le « non-lieu » annoncé des « wagons-cris » joue des rythmes ternaire/binaire : trois jours successifs cadencent le livre dont certains textes se déclinent en deux parties. L’abord nous met à vif : « Arrivée difficile. Stop. » , sorte de télégramme inaugural qui promet une venue au monde (du livre, de soi, du sujet) sans fioriture lyrique. Une saison en enfer ? Sans doute, n’est-ce pas le sillage obligé de tout engagement en écriture ? Du poème ne viendra aucune consolation, ce n’est ni son propos, ni sa nature ni sa fin. « Le parti pris de la violence » relève de l’impérieuse nécessité, « ce n’est pas une question d’ennui » .« On manque tellement / d’imprévu », lit-on page 81, à la recherche de « la phrase qui est tout
sauf tolérable ».
Le coup de fouet du poème nous remet en place : ni fantasme d’intériorité, ni vœu de transparence ou d’espoir, mais le devoir de dire juste. La parole est martiale, sincère, « rude comme réel », c’est elle qui recrache son émetteur, son poète, comme un noyau. L’écriture traque les trous noirs de la réalité, « l’étincelle », ces moments où elle « titube puis s’arrête », nous exposant à l’informe, dans un désir de sens insatiable, irréalisé.
Des points d’entrée dans la masse, il y a l’amour, celui « qui chasse dans les clous » celui qui n’est jamais autant lui-même que quand il « ne sait rien dire ».
Un autre point d’entrée, c’est le chant. Esquiver son propre refrain, changer ses notes « à chaque croisement » c’est sans doute ce qui sauve le poème de lui-même, d’une sérénité, d’une certitude qui provoqueraient de lui-même son irréparable naufrage.
Une poésie insurgée ? Une poésie politique ? Certainement, contre la banalisation mortifère de la parole, du lien et du rite, la banalisation du vide. Tant de blablabla nous recouvrent, tant d’« amitiés » et de poésie bavardes, molles, et de troubadours de carnaval, occupent les jours de fête. Alors, que dans les vagues on lise,
« Quand tous les jours
Les ondes jetables
Sacrifient des voix
Juste à leur exercice »
« Tailler en pièce l’emballage des normes », faire « infraction », voilà peut-être le moteur d’une vieéciture. La radicalité d’une voix qui se fait brûlante - et nous importe.
Olivier Matuszewski : Dans les wagons-cris, Les Hauts-Fonds, Brest, 2014
À lire, du même auteur : La part du gaucher, Librairie Editions Tituli, Paris, 2014.
Nathalie Brillant-Rannou, 17 juillet 2014