Deuxième atelier à la Maison de Balzac
2. LE BONHOMME PONS, SA COLLECTION (SUITE)
3. NOUVELLES QUESTIONS
1. COMPTE-RENDU
Avec la présence décidément bénéfique de quatre jeunes comédiens du Conservatoire d’art dramatique de l’arrondissement et de leur professeur Eric Jakobiak, l’atelier s’ouvre sur la lecture préparée par Mathilde Delassus d’une vingtaine de pages, qui courent de l’irruption de Schmucke dans le récit (là où nous nous étions arrêtés la semaine précédente) à l’arrivée de Pons chez la présidente Camusot, à laquelle il offre le précieux éventail dont elle méconnaît la valeur.
Beaucoup d’informations précises dans ces pages ; la discussion qui suit tourne cependant autour de la liberté impressionnante avec laquelle Balzac mène la narration comme un grand jeu destiné à esquiver les interrogations gênantes du lecteur, ainsi lorsqu’il s’autorise à ne rien nous dire du tout du passé de Schmucke, noyant son irruption sous d’autres considérations. Alors que ce dernier est pourtant l’un des deux personnages principaux, Balzac se contente de renvoyer entre parenthèses à Une fille d’Eve, où apparaît effectivement le personnage de Wilhelm Schmucke (c’est le privilège de la Comédie humaine...), Balzac ici ne nous donne aucune information sur ce qui l’a amené en France, ce qu’il a vécu avant de rencontrer Pons, etc. Il multiplie par contre les informations les plus détaillées alentour (et bientôt et par exemple sur la situation financière de la maison Camusot, dont il nous ouvre peu ou prou le livre de comptes). C’est ainsi que Schmucke, privé même d’autre état civil que ce drôle de nom, et dont on pourrait dire au fond, qu’il est affranchi d’informations biographiques, trouve librement sa dimension d’archétype.
Tout en tâchant d’évoquer les mouvements du texte, son jeu entre grotesque et sublime, on note des phrases aussi parfaites que celle qui vient en quatre mots tout dire du caractère de Madeleine Vivet, femme de chambre de madame de Marville qui a rêvé un temps d’épouser le pauvre Pons, « Didon d’antichambre, qui voulait devenir la cousine de ses maîtres ». On relève aussi avec un sourire des phrases que la critique ne manquerait pas de reprocher à un roman contemporain - « Voyons, reprit-elle, en voyant à sa chère Minette une figure piteuse... »
2. LE MUSICIEN, SA COLLECTION (SUITE)
Avant d’entrer plus avant dans le détail du texte, nous reprenons les questions abordées la semaine précédente et nous en ouvrons de nouvelles, dans la perspective du remake. L’état de Pons travaillant pour une société de production télévisuelle se précise ; on évoque ces musiciens qui peuvent être excellents mais qui sont condamnés à jouer sans amplification sur le plateau d’une émission, tandis que le disque est diffusé - situation, si l’on s’y arrête (être payé à faire semblant de jouer), qui frise le monstrueux. A mon interrogation sur la compatibilité de la laideur de Pons et de la télévision, un participant donne la réponse : on aime « les gueules » aussi, à la télévision, et après tout la laideur hors norme de Pons peut se retourner en argument, avec la charge de violence que la situation véhiculerait dès lors - la laideur peut paraître à la production une curiosité bienvenue, dès lors que le musicien est au fond de la scène, visible des caméras par instants seulement, susceptible de faire rire les spectateurs cruels, aussi bien.
La question de la collection est plus complexe. On lit plusieurs passages où cette « héroïne » de l’histoire est décrite pièce à pièce, ce qui n’arrive en réalité qu’au dernier tiers du roman. On mesure là encore la liberté du romancier, quand le détail de cette collection inestimable est à la vérité assez peu compatible avec le goût du bric-à-brac et la façon de chiner de Pons tels qu’ils nous ont été présentés au début. Il ne faut surtout pas réduire cette liberté, enfermer la collection dans un cadre trop restreint, voilà bien un mouvement à préserver au contraire, essentiel à la dynamique du roman. Rappelant que la collection ne doit pas être liée à la musique (sa profession), l’idée se précise qu’elle soit née du goût pour la poésie, amenant peu à peu Pons à collectionner les éditions rares illustrées par de grands artistes (Picasso multipliant les illustrations au long des années 50 et 60), des affiches devenues précieuses, des lithographies, voire les dessins eux-mêmes, ce qui ne l’empêche pas de chiner aussi du côté de l’art déco. On trouve ainsi la possibilité d’une multitude de circuits de commercialisation, du brocanteur peu ou prou ignorant à l’expert. Et puisqu’on parle art décoratif et puisque c’est un éventail précieux que Pons offre à la présidente Camusot, que ce mot même d’éventail et l’objet qu’il désigne a évidemment du sens (on s’évente devant les indésirables), voilà que surgit la mention d’un éventail dessiné par Jules Chéret dont on peut voir un exemplaire désormais précieux au musée de la Mode. A suivre...
La façon de chiner entraîne à évoquer ce qui pourrait être comparable à la manière dont on dépeçait sous Balzac les châteaux ; j’évoque la possibilité de se servir de la manière dont des villas somptueuses, dans le Sud de la France, ont été vendues en catastrophe, à distance et entièrement meublées, par des Américains ruinés du jour au lendemain lors du scandale Madoff, pour le bonheur d’entreprises de récupération qui n’étaient pas forcément capables d’estimer tous les objets à leur juste valeur.
3. NOUVELLES QUESTIONS
Deux nouvelles questions sont ouvertes : dans quel univers social contemporain notre Bonhomme Pons parvient-il encore à s’inviter au début du roman ? Dans le Cousin Pons, tous les hôtes de Pons sont liés à la scène politique - l’un pair de France, ancien ministre de l’agriculture, l’autre notaire, maire et député d’un arrondissement de Paris, le vieux monsieur Camusot, député, « en route vers la pairie ». Tous relèvent à un moment historique précis de ceux « au profit de qui (...) la révolution de Juillet avait été faite ».
Le président Camusot, principal de ces hôtes, est magistrat ; lui aussi, serait-ce sous la pression de sa femme, est gonflé d’ambitions politiques. Rien n’oblige cependant à conserver le cadre de la magistrature, qui a considérablement évolué depuis. Ces gens relèvent-ils de l’industrie médiatique, de la publicité, d’un autre univers social dont les membres ont bénéficié comme peu d’autres du chambardement de mai 68, et où l’on peut esquisser des rapports de force mêlant les enjeux économiques et politiques ?
Une question plus importante encore surgit ici, qui est au cœur de l’intrigue : le piège qui va se refermer autour du Cousin Pons dans cette société tient à la difficulté qu’éprouvent les Camusot à marier leur fille, pour des raisons strictement financières. Cette question du mariage doit évidemment se transformer, aujourd’hui ; s’il existe toujours dans certains milieux des « rallyes », il n’est plus imaginable que la question de la dot prenne de pareilles proportions. Il faut sans doute envisager une difficulté d’ordre professionnel, liée aux possibilités financières et aux réseaux ou pouvoirs d’influence d’une famille dominante, mais tout entière organisée autour d’une fille unique de 23 ou 25 ans restée pour l’heure sur le carreau de son ambition quand toutes ses amies sont déjà lancées dans le monde - de la mode, ou de la télévision, ou de tout autre chose ?
On y revient la semaine prochaine.
Prochain atelier : le lundi 6 février, de 13 h à 14h30 ; l’inscription se fait auprès du service réservation de la Maison de Balzac : 01.55.74.41.80.
Rendez-vous aussi le 11 février pour une rencontre avec José-Luis Diaz, spécialiste de Balzac.