Dispositifs
Dans son livre Qu’est-ce qu’un dispositif ? (Rivages poche/Petite Bibliothèque, février 2007, 5 €), Giorgio Agamben examine d’abord le concept que Michel Foucault répère en 1977 : « J’ai dit que le dispositif était de nature essentiellement stratégique, ce qui suppose qu’il s’agit là d’une certaine manipulation de rapports de force, d’une intervention rationnelle et concertée dans ces rapports de force, soit pour les développer dans telle direction, soit pour les bloquer, ou pour les stabiliser, les utiliser. Le dispositif, donc, est toujours inscrit dans un jeu de pouvoir, mais toujours lié aussi à une ou à des bornes de savoir qui en naissent, mais, tout autant, le conditionnent. » (Dits et écrits, volume III, p. 299 sq.).
La « positivité » serait l’ancêtre, né chez Hegel, d’après le philosophe Jean Hyppolite, du « dispositif » tel que nous le connaissons actuellement. La « positivité » est alors le réel, l’élément historique, qui s’oppose à la liberté de l’individu et donc à la pureté de la raison.
Mais pour Giorgio Agamben, il s’agit d’aller plus loin en considérant le monde dans lequel nous vivons : « En donnant une généralité encore plus grande à la classe déjà très vaste des dispositifs de Foucault, j’appelle dispositif tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants. Pas seulement les prisons donc, les asiles, le panoptikon, les écoles, la confession, les usines, les disciplines, les mesures juridiques, dont l’articulation avec le pouvoir est en un sens évidente, mais aussi le stylo, l’écriture, la littérature, la philosophie, l’agriculture, la cigarette, la navigation, les ordinateurs, les téléphones portables et, pourquoi pas, le langage lui-même, peut-être le plus ancien dispositif dans lequel, plusieurs milliers d’années déjà, un primate, probablement incapable de se rendre compte des conséquences qui l’attendaient, eut l’inconscience de se faire prendre. »
Mais comment sortir de cet ensemble de « dispositifs » qui s’avèrent de jour en jour plus contraignants ? La ruse du dispositif est qu’il fonctionne en accord avec la « subjectivation » qu’il produit lui-même : l’accord implicite du sujet. Qui peut s’élever vivement contre un « dispositif anti-terroriste » ou « anti-fraude » ? En signalant l’expansion des « dispositifs » biométriques destinés à ficher les citoyens, ainsi que le développement de la vidéosurveillance urbaine, l’auteur peut écrire : « Aux yeux de l’autorité (et peut-être a-t-elle raison), rien ne ressemble autant à un terroriste qu’un homme ordinaire. »
Giorgio Agamben propose alors la « profanation » de ces dispositifs, « pour amener à la lumière cet Ingouvernable qui est tout à la fois le point d’origine et le point de fuite de toute politique. »
Qu’elle ait lieu dans un palais des sports ou un stade, toute réunion politique en public met en scène un « dispositif » dont la sécurité fait partie (les oreillettes tirebouchonnent discrètement), mais « le champion » doit bien se déplacer tout près d’autres êtres humains. Les gardes du corps exposé sont dans leurs petits souliers.
Le débat télévisé du 2 mai entre les deux candidats à l’élection présidentielle française correspond lui aussi à un « dispositif » médiatique soigneusement réglé et dont on connaît les moindres détails (le décor, la table, les chaises, l’absence de plans de coupe, les journalistes désignés, etc.). L’inconnu(e) demeure, au final, la « profanation » elle-même : est-elle encore possible ou n’est-ce plus désormais qu’un rêve pixellisé ?