Enrico Metz rentre chez lui

Parution du roman de Claudio Piersanti chez Quidam Éditeur.


De Claudio Piersanti, scénariste et écrivain italien né en 1954 dans les Abruzzes, on ne pouvait lire jusqu’à présent en France que deux livres : Luisa et le silence (Actes Sud, 1999) et Le Pendu (Actes Sud, 2002).
Enrico Metz rentre chez lui (traduit, comme les ouvrages précédents, par Marguerite Pozzoli), son livre-phare, récompensé en 2006 en Italie par de nombreux prix, paraît aujourd’hui aux Éditions Quidam. On y reconnaît, dès les premières pages, le Piersanti que l’on apprécie, celui qui, au détour d’une phrase fluide, sait devenir grinçant, sarcastique, efficace tout en restant d’un aplomb et d’un flegme imparables. Ces flèches (la plupart du temps dirigées contre les puissants ou leurs sbires), il les décoche paisiblement, au milieu d’une scène, d’un portrait, d’un dialogue avant de poursuivre, comme si de rien n’était, l’histoire qu’il veut fixer. Ici, il déroule celle d’un avocat de renom : Enrico Metz qui, après la faillite (et avant le suicide) de l’homme d’affaires pour lequel il travaillait, décide de quitter définitivement Milan pour regagner sa ville d’origine.

« Il l’avait souvent entendu dire depuis son enfance, mais il ne l’avait jamais cru : qui est né ici revient tôt ou tard, et tant que dure l’exil, il ne cesse de rêver de ces places, des silhouettes familières un peu trapues qui les traversent avec un sac à provisions… »

Cet homme qui rentre pour tenter de remettre de l’essentiel dans sa vie de façon à la finir le plus harmonieusement possible va très vite se rendre compte de ce qu’il en est des conflits à l’oeuvre dans une modeste ville de province. Ne pas s’en mêler est inévitablement perçu comme une dérobade. Ou comme une fierté mal placée. Il faut coûte que coûte prendre position. Pour ou contre des gens qui tous se haïssent. Etre à côté ne préserve de rien. Les coups pleuvent. Et Metz ne peut les éviter.

« Ici, tout doit être petit : petite ville, petite bourgeoisie, petite industrie… petit et associé à d’autres petits, voilà le secret. »

Et les petits s’agitent. Pour une miette de pouvoir dans un journal, une association, un parti… Lui, il encaisse, il poursuit sa métamorphose, arrivant bientôt à oublier, à ignorer, à ne plus voir ni entendre les furieux qui, pour exister, continuent d’alimenter les vieilles querelles ou, au besoin, en inventent de nouvelles.
Le cheminement de l’avocat Metz vers la sagesse est tracé par Piersenti avec lenteur et limpidité. « Je raconte une libération et une découverte, banale si l’on veut : toute une existence peut s’exprimer dans un monde minuscule ». Il brosse le portrait changeant et le destin d’un homme qui a choisi d’occuper son corps et ses mains (en travaillant la terre ou en manipulant des jeux de cartes) pour laisser un peu moins de prise à la pensée.

« S’il se laissait envahir par les pensées, il sentait monter dans sa poitrine une angoisse sans raison, si forte qu’elle accélérait les battements de son cœur. Il sentait tout le mal du monde fondre rageusement sur lui et sur ceux qu’il aimait. Comme un vautour. Il devenait fragile. Cela l’effrayait un peu, tout en l’excitant légèrement. Entre donc, messire Mal de mes deux, je ne suis peut-être pas grand, mais dans cette main il y a encore un bon coup de poing pour toi ! »

Claudio Piersanti ne sombre jamais dans la caricature. Et pas plus dans le moralisme. L’homme (d’une force indéniable) qu’il suit est mis à nu jusque dans ses travers, ses contradictions et ses faiblesses au fil d’un texte fouillé, calé au plus près du vivant.


Claudio Piersanti : Enrico Metz rentre chez lui, éd. Quidam.

25 mars 2008
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