Finir ses restes

"Ça ne va pas ça n’ira pas", Dominique Quélen.


Dès le début, le corps – et ces nerfs, ces fibres, ces muscles, ces invisibles réseaux qui le tendent, le tiennent – s’est trouvé très présent, fébrile ou posé, dans les textes de Dominique Quélen. Il se dénouait, se frottait aux autres, àla terre et aux paysages, multipliait les ralentis, se calait sur la mécanique des mouvements précis dans le cycle des  Petites formes et s’amplifiait un peu plus, nerveux et effilé, dans Le Temps est un grand maigre.

S’il est ànouveau présent dans Finir ses restes, il ne l’est pourtant plus de la même façon que précédemment. Ce corps-ci est en train de passer. Il ne bouge que par saccades dans une mémoire qui ressasse. Ses gestes, ultimes, transitent par le cerveau de qui ne peut faire autrement que de les fixer dans un livre. Et ces gestes, millimétrés, sont ceux d’un bras, d’un levier, d’une force motrice qui court àsa perte.

« Â tiens dis-tu d’une autre
voix contemple et tiens ce bras
ou levier qui est àprésent
ce qu’il est dans cet état précis
qu’on dirait d’abandon  »

Il y a ce bras « Â qui suinte  », qui se plie en deux parts égales, se déplie, garde avec de plus en plus de peine ses attaches, d’abord àl’épaule, puis aux autres grâce àla main qui peut s’ouvrir, se fermer ou en serrer une autre. Il y a ce bras gauche, ce poignet où le cÅ“ur ne bat plus, ce bras regardé, ausculté et àtravers lui, ou àpartir de lui, tout le reste, le corps qui suit, fuit et disparaît

« Â avec la densité du bras d’un frère  »

d’un proche, d’un double non plus présent en chair mais en os, saillant, dur, poncé jusque dans le fil très mince du poème où rien ne peut venir dévier le cours d’une physique implacable, pas même la douleur, lancinante, murmurée, scandée et filtrée àl’extrême.

« Â ou comme pour
tordre en pensée tu
manges ton bras
tu le suis et le
conduis dans
sa nudité et ceci
ou autre manque
te retenir puis te
retient
tu survis  »

Finir ses restes incite àtenir son souffle et ses mots. Pour aller au plus juste, àce qui ne pouvant se dire se devine, entre âpreté et pudeur, dans de l’eau troublée, dans du secret gardé, làoù l’on sait qu’il y a perte, plaie et approche d’un grand silence.


Dominique Quélen : Finir ses restes, ISBN 978-2-917029-13-8, éditions Rehauts (105 rue Mouffetard, 75005 Paris).

30 juin 2011
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