L’Éveil et l’Exil de Philippe Lacadée
L’Éveil et l’Exil, de Philippe Lacadée est paru aux Editions Cécile Defaut (avril 2007)
Philippe Lacadée est psychanalyste et psychiatre [1], coprésident du Cien (Centre interdisciplinaire pour l’enfant), auteur de Le Malentendu de l’enfant, éditions Payot.
Patricia Cottron-Daubigné est enseignante et poète [2]. Deux manières d’être qui font lien et parfois problème et l’ont ainsi conduite à Saintes à une rencontre du Cien avec quelques textes autour des ados « où, je marche ».
Dans ce livre L’Éveil et l’Exil, au titre emblématique, Philippe Lacadée donne une lecture profonde du temps si particulier, si bouleversé de l’adolescence. À tous ceux, démunis souvent, dont le désir est fort d’être vraiment présents pour les jeunes avec qui ils travaillent (enseignants, éducateurs…) , et à tous ceux qui accordent à la littérature la place fondamentalement humaine qui est la sienne, ce livre apportera repères et réflexion.
On n’y trouvera pas de solutions, pas de recettes pour étiqueter, traiter, nettoyer quoi que ce soit, bien au contraire ; il s’agit d’abord d’accueillir, de donner voix à la souffrance des adolescents. Philippe Lacadée nous mène dans l’épaisseur de ce moment, celui de « la plus délicate des transitions », en prenant appui sur sa pratique analytique, sur la pensée de Freud et de Lacan, sur une connaissance fine d’écrivains-phares tel Musil. S’y ajoute une lecture complice et vivante de Rimbaud, appelé ici en tant qu’archétype de celui dont le corps et l’écriture cherchent mouvement et lien :
« Sa vie durant, il s’est tenu sur cette frontière, frayant son chemin dans l’écriture à partir de son errance intérieure et d’un itinéraire géographique tracé au fil de ses déplacements de lieux en lieux, de noms propres en noms propres de villes ou de pays. Trouver une langue par l’écriture en cherchant le lieu et la formule capables de traiter la sensation qui le débordait lui permettait d’atteindre l’espace du repos de l’être parlant ,qu’il s’était refusé. C’est ce dont témoigne de façon magistrale son poème « Le dormeur du val » où quelque chose chute irrémédiablement, au bord du trou. C’est cet abri dont il s’est exclu que Rimbaud va quêter jusqu’à sa mort. » ( p 90)
Les effets de miroir, les passerelles que l’auteur établit entre les différents domaines de ses compétences, auxquelles s’ajoute une vraie connaissance des jeunes de banlieue que l’auteur rencontre au collège Pierre-Sémard de Bobigny (dans le fameux 9-3),et au centre de jour pour ados à Cadillac (Bordeaux), décuplent l’intérêt et le plaisir que l’on prend à lire cet ouvrage.
Qu’en est-il du corps et de la parole des ados ? Qu’est-ce qui s’affronte en eux et à nous ? Peut-on entendre, dans le lieu de la classe, ce qui s’avance, derrière tant de provocations ? L’enseignant peut-il offrir un espace de création aux ados tout en transmettant des savoirs ? Que nous dit la littérature de cela ?
C’est, et cela réjouira tous ceux qui en sont amoureux, avec la langue que tout se joue, se noue et que l’adolescent trouvera la vraie liberté ; l’enjeu que propose Philippe Lacadée, entendre un corps et faire advenir une parole , est beau, complexe et riche ; à prendre à bras-le-corps, ou si l’on osait (mais c’est peut-être la même chose) à bras-les-mots pour se laisser embrasser par leur sonorité là où les
adolescents à l’instar de Rimbaud sont pressés de trouver « un lieu et une formule » à l’écart du sens commun.
[1] Un praticien résolument engagé : lire l’article paru dans Vacarme : faire tourner l’usage du sujet et la note que consacre la Librairie Mollat à son ouvrage.
[2] Derniers ouvrages publiés : Journal du houx vert et de la bruyère, Gros textes ; des paniers de fruits dorés, comme, Tarabuste.