L’affaire Verlaine

« Tiens, je t’apprendrai à vouloir partir ! », Paul Verlaine.


Bruxelles, jeudi 10 juillet 1873. Verlaine s’est levé de bon matin. Vers neuf heures, il est entré chez l’armurier Montigny, passage Saint-Hubert, où il s’est acheté un revolver de sept millimètres à six coups et une boîte de cartouches. Il a demandé au vendeur de lui expliquer comment fonctionnait l’arme puis il s’est rendu dans un estaminet de la rue des Chartreux où il a chargé son Lefaucheux, tout en buvant bon nombre d’absinthes. De retour à l’hôtel de Courtrai où il logeait en compagnie de Rimbaud (sa mère, veuve Verlaine occupait la chambre d’à côté), il montra son acquisition à ce dernier qui lui demanda ce qu’il comptait en faire. Depuis plusieurs jours, il menaçait de « se brûler la cervelle » si sa femme, qui avait décidé de le quitter, ne venait pas le rejoindre. Il lui avait fixé, par lettre, un ultimatum.

« Je vais me crever. Je voudrais seulement que personne ne sut cela avant la chose faite et qu’en outre il fût prouvé que ma femme (que j’attends encore jusqu’à demain après-midi) a été prévenue 3 fois, télégraphiquement et par la poste, que c’est donc son obstination qui aura fait le beau coup. »

Cette missive destinée à son fidèle ami Edmond Lepelletier a été rédigée le dimanche précédent. Il a également fait part de son désir d’en finir à sa mère (qui est venue le rejoindre illico) ainsi qu’à Rimbaud et à la mère de celui-ci.

Dans l’après-midi, tandis que, l’alcool aidant, le ton monte entre les deux amants, Verlaine ferme la porte de la chambre à double tour et braque le revolver sur Rimbaud à qui il reproche de vouloir rejoindre Paris le jour même. Il tire et le blesse légèrement au poignet. Plus tard, sur la route de l’hôpital, il met à nouveau la main à sa poche (où se trouve l’arme), faisant craindre un nouveau coup de folie au blessé qui court se réfugier près d’un policier qui arrête le tireur imbibé.

« Verlaine s’en fut couché à l’« Amigo » en compagnie d’un autre soiffard, cependant que sa mère et Rimbaud, le train manqué, s’acheminaient mélancoliquement ensemble vers l’hôtel de Courtrai. »

C’est cette affaire, celle du coup de feu, ses conséquences mais aussi ce qui précéda, que saisit avec finesse Maurice Dullaert, poète et critique littéraire belge (1865-1940) particulièrement attiré par la personnalité complexe de Verlaine. Il en brosse ici un portrait psychologique très documenté. Il remonte aux sources. Explique la rencontre entre les deux poètes, revient sur leur séjour à Londres, donne à lire les lettres qu’ils ont échangées et qui furent ensuite saisies par la justice. Il y ajoute des extraits succincts des divers interrogatoires et dépositions. Bref, il poursuit l’enquête et donne au lecteur tous les éléments du petit drame qui vit « la vierge folle » blesser « l’époux infernal », le premier écopant de deux ans de prison (durant lesquels il va se convertir et écrire Sagesse) et le second s’en retournant dans ses Ardennes natales mettre au propre Une saison en enfer.

Le livre, publié une première fois chez Albert Messein à Paris en 1930, et aujourd’hui réédité chez Obsidiane, ne vaut pas seulement par la lucidité affichée par l’auteur et par sa façon de tout dire, avec tact et humour. Il séduit tout autant par l’écriture suggestive et extrêmement narrative de Dullaert. En replaçant le fait-divers dans son contexte historique et en l’étirant de ses prémices (pendant la Commune de Paris) à ses suites imprévues (libéré des geôles belges, Verlaine ira retrouver Rimbaud à Stuttgart), il met en route un récit alerte et endiablé.


Maurice Dullaert : L’affaire Verlaine, éditions Obsidiane.

11 août 2014
T T+