L’œil diffracté de Laurence Werner David



Il y a des corps, des corpuscules que l’on ne voit pas tout de suite, quand on les voit. Une tache vibrante signale-t-elle un animal nordique ou une réminiscence ? Le temps que s’adapte la vision une histoire s’est inscrite, où des êtres poursuivent un désir inavouable leur tenant lieu de destinée.

Une aspérité du passé devait être l’origine. Premier point d’ombre depuis lequel les autres points s’assemblent en lignes, première trouée dans les surfaces opaques, géologiques, premier mouvement de lumière infléchi. Ainsi apparaissent les paysages. Le lointain et le proche se concilient dans une distance inaccessible, un temps excentré en boucle lâche.

Nous sommes dans le mouvement. Nous approchons l’objet convoité, son image, et si cette approche paraît immobile s’opère une translation d’un autre ordre, d’une autre qualité, sensorielle, affective, mémorielle. Mais l’approche est trompeuse : au fur et à mesure l’objet s’est enrobé de flou : on y est sans le voir, ou bien on n’y est plus en sachant avoir vu. Les entre-deux mêmes sont rongés par une substance dont on ignore si elle est promesse ou poison.

On sait que les photographies ne sont jamais prises au bon moment : une série de clichés cernera sans l’atteindre l’exact instant voué à l’oubli, pâles imitations et pourtant preuves, rebuts et indices précieux. Pour y accéder l’écriture pose les choses en regard : c’est au milieu d’elles, dans le champ aveugle, que l’énigme continue de vibrer.


[Patrick Chatelier]

Contrefort de Laurence Werner David est édité aux éditions Verticales Phase deux.



3 mars 2006
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