La lisibilité d’Olivier Cadiot

Un nid pour quoi faire, Olivier Cadiot ; POL, 2007

C’est un texte avec un sujet, qui le tient et ne le lâche pas sur 340 pages, le sujet de cette cour royale en exil dans un chalet à la montagne. Un roi, peut-il être qualifié de maniaco-dépressif, un roi commun pitre mais conscient de son époque, des enjeux d’image, il cherche alors un conseiller en communication. Voici déjà pour commencer une curiosité qu’un roi en exil parqué dans son chalet en guise de château ait ce souci prioritaire, son pouvoir, qu’il n’a plus que sur sa cour, est avant tout une question d’image. Un roi tonitruant, un truand déguisé en roi ? Un roi qui cherche à s’occuper. Et s’occuper pourquoi pas par l’oisiveté de l’art. Roi oiseau. « Qu’est-ce que je dois faire ? où aller ? je ne sais pas quoi faire, au fond je m’ennuie, les problèmes de la cour réglés, reste un temps énorme pour la créativité, on se sent obligé de faire de l’art. » Roi en chanteur. « Mais au fond, ce que j’aimerais faire, c’est de la poésie. »

Un chapitre ainsi. Second chapitre c’est Robinson (le Robinson récurrent d’Olivier Cadiot) dans sa cuisine, il est curieux lui aussi, il est certainement malade, malade de sa vie antérieure (si ce n’est intérieure), malade de sa vie dans la fiction ? (C’est bien un texte qui fait poser des questions et les suppositions semblent possibles). « Quelque chose dans son cerveau persiste, il traduit tout ce qui lui arrive en termes d’île, chaque évènement est un naufrage. » Son frère lui annonce à la page 90 l’objet du texte : « un job ultra-payé, une cour royale en exil, il faut intervenir, il faut revoir l’image, ils sont en perte de vitesse, redessiner un logo… »

Chapitre suivant Robinson part à la montagne. Quelques pistes de ski plus loin page 277 le roi meurt Robinson devient roi, ça va vite, on passe d’une idée à une autre, tac, Robinson saborde le royaume la fin est catastrophique. La fiction se saborde-t-elle ? Est-ce qu’un chalet peut contenir un cheval, un roi sur un cheval, cela va vite, au pas cadencé cette histoire de roi, on est le roi sur son cheval au galop, le texte cheval-mouvement, facteur cheval, facteur vitesse. « C’est connu, après un accident, il faut tout de suite remonter à cheval. »

Parce que cette question de la vitesse est toujours au cœur du travail d’Olivier Cadiot, qu’elle est résolue à nouveau avec succès. Une problématique qui concerne avant tout la poésie. Or Un nid pour quoi faire qui est dit roman ressemble presque à un roman. Ici il faut se rappeler de ce qu’écrit Michel Gauthier dans Olivier Cadiot, le facteur vitesse (Les presses du réel, 2004) : « la poésie réussit donc quand elle se souvient mal du roman […]. La poésie atteint son but quand elle met le roman en pièces. » (p.17). Alors un roman truqué, un roman à piège. Un roman peut-il accepter cette langue ? Un roman peut-il accepter cette forme de mise en langue ? La forme, constante dans toute la longueur du texte, cette forme déjà là dans les précédents textes, une phrase par paragraphe ponctuée de virgules, et cette alternance de paragraphes longs et de phrases très courtes, le tout espacé d’une ligne. Ceci est doublé par une écriture qui fonctionne par raccourcis. Et voici les ingrédients pour fabriquer ces effets de vitesse incroyables. Il faut lire les explications de Michel Gauthier, sa manière de creuser la question, certes pour un précédent texte mais ça marche encore pour celui-ci, « le Retour définitif et durable de l’être aimé fait le pari que, écrit presto, voire prestissimo, le roman devient poétic’ et que l’économie fragmentaire est de nature à permettre cette accélération. La poésie n’est plus une substance qu’il convient de mélanger à une autre, par exemple romanesque. Elle est un pur produit de vitesse – accélération, ou décélération. » (p.31)

Dire également que s’y lit des paroles, des pensées. Cela parle beaucoup dans ce texte, elles sont dites, mais sans donner l’impression d’un dialogue. Le texte est théâtral, il pourrait presque être fait pour la scène.

Pourquoi est-ce si agréable à lire ? Pourquoi est-ce si lisible ? Pourquoi cette machinerie donne l’envie de la lecture ? Parce qu’Olivier Cadiot fait jubiler la langue. Qu’on s’imagine son rire à lui écrivant son texte. Cette manière de contracter la parole permet des raccourcis audacieux, des rapprochements douteux, et ce sont là que se tiennent les effets de comique, quand le sérieux quasi-indiscutable se mêle à la fantaisie, à l’humour le plus plein, dans la même phrase.

Alors ce sujet du texte, ce sujet sert-il uniquement à faire jubiler la langue ? Une langue qui jubile c’est d’abord par un sujet qui est là lisible, un sujet qui participe lui-même de cette jubilation. Parce que la technique d’écriture est uniforme, qu’elle a déjà été créée et testée sur les précédents textes, l’évènement ne vient plus par la jubilation de la langue mais par le sujet et la construction du sujet, cette construction précise de toutes les scènes rassemblées ensembles qui font que ce sujet est tenu pendant tout le texte. Est-ce cela un roman ?

5 mars 2007
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