PORTRAITS GAGNYNGHAM - 1
Des portraits et des impressions, comme des notes à la volée ou des divagations entre deux RER, casque sur les oreilles, à écouter la Musique ; des textes morts-nés, textes vivaces en plantes grimpantes dans mon cerveau, brouillons de machins ou visions alternatives de l’expérience Gagnyngham. Des couleurs, des sensations, des visages, des corps et des archives, en somme. Pousse et repousse, et rerepoupousse, sans cesse, sans cesse...
HERMINE
Comme je n’ai pas tellement envie de vous parler de ce que la musique me fait
Comme je n’ai pas tellement envie de vous délivrer mes secrets
Encore moins mes souvenirs
Comme je n’ai pas envie d’en parler
Enfin
Pas envie de parler des choses dont on n’a pas du tout envie de parler
Je vais vous interpréter le morceau intitulé 4.33 de John Cage
(elle prend une longue inspiration)
John Cage c’est celui qui a dit
Le meilleur moyen d’accepter un son c’est de l’écouter
Ce morceau fait 4 minutes 33 secondes
D’où son titre
4.33
Vous pouvez fermer les yeux
Fermez-les et fermez-la
Je commence
(Hermine se met à diriger 4.33 de John Cage ; le reste des interprètes est à l’unisson de la cheffe d’orchestre).
DUARTE (doucement, rompant le silence)
Le silence est sexy
Mais le silence n’existe pas
On peut imaginer l’idée de l’absence
Mais l’absence est un impossible
La relation électrique entre ce micro et cette enceinte est une relation continue
Notre œil ne la perçoit pas mais elle existe
Quand je regarde Dominique dormir je la considère absente à ce que je dis
Cela ne signifie pas pour autant qu’elle est vraiment absente
Sans vie ou vide
Parfois Dominique ronfle
Pas aussi fort que Hassan mais elle ronfle
Malgré son sommeil l’intensité de Dominique est faible mais sa présence véritable
Et si mon oreille pouvait s’approcher au plus près de son cerveau peut-être entendrai-je la vibration de ses pensées englouties
Sa fréquence fondamentale
En approchant lentement ce micro de cette enceinte je vais isoler la fréquence fondamentale
La pure énergie du son
Le signal ondulatoire va augmenter progressivement en intensité jusqu’à atteindre les limites du matériel utilisé
L’émetteur va envoyer le signal au récepteur qui va envoyer ce signal à l’émetteur qui va envoyer le signal au récepteur qui va envoyer ce signal à l’émetteur
Etc. Etc. Etc.
Etc.
(Duarte invite les interprètes à s’équiper d’un casque anti-bruit ; ceci fait, il approche son micro de l’ampli guitare auquel il est relié afin de provoquer un larsen qu’il maîtrise tel le dompteur dans la cage des fauves ; le son est fort, insoutenable, voire dangereux).
John Cage a dit le meilleur moyen d’apprécier un son désagréable c’est de l’écouter
Vous pouvez vous boucher les oreilles si vous préférez bien sûr
Je vais me rapprocher un peu plus encore
Les seuls moyens pour arrêter un feedback sont de couper l’électricité
Ou de déplacer le micro pour briser le cercle de relation avec l’enceinte
Ouf
JOELLE
A Gagnyngham, le présent, comme le silence, n’existent pas
Il y a le temps déchiré de ta propre survie où présent et futur se mélangent dans un désert sans horizon
Tu as froid
Tu as faim
Tu auras froid
Tu auras faim
Aujourd’hui
Demain
Et puis le passé qui charrie le ressassement l’obsession le regret
Comme le souvenir d’un vieil air d’harmonica dans un western
DUARTE
Ce qu’il y a dans la tête des habitants de Gagnyngham ce n’est pas une chanson de variété ou un air d’Ennio Morricone ou un vieux blues de l’espace
C’est plutôt toutes les chansons de tous les westerns en même temps
Un son fantôme
Une stridence
Un feedback éternel
Le seul moyen de sortir d’un feedback est
De couper le jus
De faire un pas de côté
(facile à dire)