Paul Celan, Poèmes, par John E. Jackson.

John E. Jackson a publié chez Corti, au début de l’année 2007, cette sorte de biobibliographie spirituelle de Celan, accompagnée d’une nouvelle traduction de poèmes tirés des livres les plus importants, depuis Pavot et Mémoire (1952) jusqu’à Contrainte de lumière (1970).
On trouve aussi, à la suite de ces poèmes, le Discours de Brême et la Lettre à Hans Bender ; puis une étude critique dont le titre, « La main qui ouvrira mon livre… » fait référence à une lettre de Celan, de 1946, sur le thème de la réception de son œuvre en Allemagne.
On y lit en particulier cette phrase : « … permettez-moi d’évoquer cette chose terrible-, la main qui ouvrira mon livre aura peut-être serré la main de celui qui fut l’assassin de ma mère… Et pire encore pourrait arriver… Pourtant mon destin est celui-ci : d’avoir à écrire des poèmes en allemand. »
Certes, John E. Jackson précise qu’on ne peut réduire entièrement l’enjeu de la poésie de Celan au drame de la mort de sa mère, tuée par les Nazis ; cependant il rappelle bien cette évidence qu’un tel traumatisme a valeur d’origine, et qu’en lui se noue la complexité, la contradiction, du rapport de Celan à l’allemand, langue de culture chez les juifs de Czernowitz, et que sa mère, précisément, lui avait apprise, mais langue que l’Histoire a vouée un temps à ne plus être que la langue des bourreaux.
L’introduction et les commentaires de ce livre me semblent une belle initiation, et claire autant qu’il se peut, à la lecture de Celan.

John E. Jackson rappelle que, dans le Discours de Brême, Celan emprunte à Mandelstam, qu’il aimait tant, la métaphore de « la bouteille à la mer » pour caractériser le destin du poème en quête du lecteur qui la recueillera un jour, « sur quelque plage, la plage du cœur, peut-être ».
C’est dans L’Interlocuteur, texte dont Jean Blot avait donné une traduction dans le N° 4 de la revue L’Ephémère [1], que Mandelstam développait la métaphore de la bouteille à la mer.

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Puisque nous en sommes à l’époque des vœux, puis-je formuler celui-ci, en particulier à l’intention de tous les lecteurs et acteurs de remue.net :
Que, dans l’agitation et dans « le bruit du temps » de l’année qui vient, chacun, le plus souvent possible, « s’entend[e] soudain appeler par son nom » par les livres et les poèmes...

Voici Mandelstam [2] :

En lisant ces vers de Baratynski, j’éprouve l’émotion de celui qui retrouve la bouteille venue de loin. En lui accordant libre usage de son immensité, l’Océan lui a permis de remplir son office. Le sentiment de la providence me saisit. Sur la bouteille jetée aux flots, comme dans les vers de Baratynski, aucune adresse n’est inscrite. Pourtant tous deux ont un destinataire : celui qui découvrira la bouteille, celui qui lira le poème. Ceux qui rencontrent soudain ces vers de Baratynski doivent éprouver un frisson de joie et d’effroi pareil à celui qui parcourt l’homme qui, alors qu’il s’y attend le moins, s’entend soudain appeler par son nom.

Jean-Marie Barnaud

2 janvier 2008
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[1Celan faisait partie du comité de rédaction de L’Ephémère.

[2Cité par John E. Jackson, in Paul Celan, Poèmes (Corti, 2007, p. 47.