Va où

« Un vrai oiseau, une authentique joie ça va où », Valérie Rouzeau


Publié une première fois par les éditions Le Temps qu’il fait en 2002, Va où sort aujourd’hui en poche. Belle opportunité pour s’attarder à nouveau sur une œuvre qui étonne (par sa fraîcheur, sa spontanéité, sa fantaisie) et qui a le don d’embarquer le lecteur au quart de tour. Valérie Rouzeau adopte comme toujours un rythme soutenu. Tout va très vite. Les émotions affleurent. L’auteure ne s’y laisse pas happer. Le fil sur lequel elle évolue est fin. Il demande une prise de risques permanente. Elle joue avec l’air, le vent, la vitesse, l’inconnu mais n’oublie pas le terre à terre et ses retours de bâton. Ses mots virevoltent, ne tombent jamais à plat, profitent de leurs sonorités et s’accordent pour bousculer les lieux communs en déviant légèrement de leur trajectoire initiale pour se retrouver là où on ne les attendait pas.

« Je pars le cœur tapant prendre le train en marche

Pile au signal sonore monterai mon bagage avec ma vie entière

Sur les rails je penserai à toute vitesse au bonheur étrange de sentir mon poids de chagrin lancé par des plaines jamais vues

J’apercevrai peut-être un vrai oiseau dont on me dira plus tard que c’était un hiatus »

La langue, inventive, aime s’appuyer sur les syllabes. Elle y trouve des relais, assemble des mots qui ont peu l’habitude de se toucher ainsi et crée instantanément des raccourcis qui apportent leur pierre au chant tout en influant gaiement sur le sens (voire le double sens) de la phrase. Elle imagine, elle évoque, elle pense à ses proches et aux autres, elle s’adresse à Desnos ou à Apollinaire, elle dit ce qu’elle doit, ce qu’elle espère, ce qui revivifie constamment son allant, son énergie, son besoin de vivre avec intensité.

« Je pense aux personnes à merveille dans ma vie mes frères loin mes potes en allés mes jamais rencontrés je pense au cœur de ma mère solitaire je pense sur la tête de mon père je pense à mes aïeux en rangs d’oignons dessous la terre je pense à ma grandmère sempiternelle qui avait le blues toujours dans sa vieille blouse »

Elle va où tous les autres inévitablement vont mais n’emprunte, pour s’y rendre, que des chemins détournés, un peu sinueux, qu’elle invente au fil du poème, y glissant tristesse, douceur, tendresse et beaucoup de sentiments contradictoires qu’elle associe à sa manière. Si elle s’arrête en chemin, ce n’est jamais pour très longtemps, et uniquement pour mieux repartir, sûre d’avoir pu saisir en un temps très bref ce qui foisonne en elle (et autour d’elle) au quotidien, désireuse, quoiqu’il arrive, de poursuivre sa quête en réactivant cet étonnement qui la porte et qui maintient, intact, le fil qui la lie à son enfance.

« Me revoilà en train de plus belle sur les rails
J’aurai roulé ma vie
Foncé dans ma charrette songé dans mon tonneau
Tracé mes cartes de tendre
Et mon esprit de ciel si j’en ai ira bien jusqu’au bout de sa peine jusqu’au bout de sa joie partante à vos marques prête »


Valérie Rouzeau, Va où, collection la petite vermillon, La Table Ronde.

19 avril 2015
T T+