Visite à Cathie Barreau, Visites aux vivants

Le titre du livre de Cathie Barreau, paru ce mois-ci aux Editions Laurence Teper, ne cesse de m’interroger, à la manière, si j’ose un écart de grande taille, du dernier film d’Almodovar, Volver : il s’agit à première lecture d’une « visite » à ceux qui, dans l’ordre de la filiation, précèdent la narratrice ; je repère, au cours des dix-sept récits, les arrière-grand-parents, Alexandre et Marie-Rose, Octavie et Armand, les grand-parents, Baptiste et Clarisse, Emmanuel et Célestine, des oncles, une tante, les parents, Claire et Abel. Les plus anciens d’entre eux, sans nul doute, sont morts.

« Visites aux vivants » est pourtant le titre, et ce n’est pas une antiphrase, en d’autres termes il ne s’agit pas d’une visite aux morts : l’écriture anime ces hommes et femmes du siècle, elle n’a pas pour fonction de restituer le souvenir mais au contraire de participer à la réalité, on a dans ce livre l’image soutenue d’un temps qui se parcourt en sens contraire, on ne le remonte pas, on le descend, c’est un processus mental auquel nous ne sommes pas habitués. L’écriture dit l’engendrement : la petite fille est présente bien avant sa naissance dans le désir de ces aïeux, elle leur rend visite parce qu’elle était inscrite en eux. La vie se donne ainsi dans les deux sens.

Et c’est par images successives que se donne à voir la vie rendue par chaque visite de la narratrice. L’arrière-grand-père Alexandre a un cheval, « appelé Coco comme tous les chevaux de trait », il est réquisitionné, « c’est donc Coco qui partit à la guerre » - et Alexandre n’est pas bavard, les souffrances qu’il tait ici sont entendues. Grand-mère Clarisse pleure seule dans les champs le jour de Pâques et ne sait pas lire ? en quelques visites, la narratrice la console, respire à son rythme, lui apprend à lire : « Il faudrait qu’elle se souvienne que je lui ai appris à lire quand elle était petite (…) ; il faudrait qu’elle se souvienne que j’ai refait l’histoire ».Et tous les silences et toutes les misères des hommes – l’oncle Raymond reçoit une pierre et claudique, le grand-père Emmanuel est blessé à la jambe à son retour de guerre en 1919, le père Abel est garçon de ferme, il connaît les oiseaux, la belle perdrix rouge et la fauvette noire aussi, la patronne ne lui donne pas de bottereaux -, tous les silences et toutes les misères de femmes – la faim pour la grand-mère Célestine, la haine de la grand-mère Clarisse pour les « môssieurs », la vie sans amour de l’arrière-grand-mère Octavie – sont repris dans la tendre compréhension des visites de la narratrice qui obtient le signe de l’un, le sourire de l’autre, donne des bottereaux à Abel, accompagne Emmanuel chancelant dans la lumière du jardin, observe en frissonnant la naissance de l’amour de Célestine et Emmanuel.

En quoi, pourquoi la petite fille donne-t-elle la vie à ses ascendants ? Parce qu’elle est savante, parce qu’elle a « traversé le siècle terrible » :

Les horreurs, je les connais, le bruit des bottes, je ne l’ai pas vécu, mais c’est comme si. (…) J’ai, à cet instant, dans la petite troupe familiale, le triste privilège d’en savoir beaucoup plus, tant sur ce qui arrivera en Vendée qu’à Ouradour ou Buchenwald. On est moins malheureux quand on vit dans le présent avec ceux qui sont près de nous et uniquement avec eux. Mais je n’ai pas cette capacité. Je suis en dix endroits à la fois, depuis toujours, à mon insu. C’est pour tenter de mettre de l’ordre dans ces temps à la fois imaginaires et bien réels que j’écris , p.84

Cette signification de l’Histoire est répétée en dernière page :

Je tremble de chagrin et de joie à les voir jeunes, miséreux et beaux, moi, fille d’Abel et de Claire, petite-fille de (…), arrière-petite-fille d’(…), qui ai traversé le siècle terrible dans mes phrases.


Visites aux vivants recevra le prix Marguerite Audoux 2007 à Bourges le 14 décembre.

Cathie Barreau parle de Visites aux vivants dans un très récent entretien avec Philippe Bertheau sur araktu.com.

Elle anime à La Roche-sur-Yon, avec Guénaël Boutouillet, La Maison Gueffier : Patrick Chatelier, autour du Général Instin, se demande ce qui s’y passe.

Sur remue.net, nous avions déjà signalé la parution de Trois Jardins et Journal secret,
on peut lire de Cathie Barreau Châtaignes sur feu de pages, et Lettres de Margeride.
Sur Inventaire-invention, on peut lire Cellule.

Chantal Hibou Anglade

27 janvier 2007
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