Voyage au centre de la quatrième arobase

Anne-Marie Durou
La forteresse, 2005,
Résine, fèves, corail, 18,5 X 28 X 14 cm.

Voyage au centre de la quatrième arobase est un “processus†(work in progress) initié par les correspondances Laurence Skivée/Catherine Pomparat.

Le territoire traversé durant ce Voyage  relève du démesurément grand et du démesurément petit où se meut le dessin d’ Anne-Marie Durou ; artiste représentée par la Galerie Tinbox dirigée par Nadia Russell.
Les traits du dessin donnent forme àune matière verbale singulière constituée de “faits†et “anecdotes†qui s’éclairent et s’obscurcissent les uns les autres.

L’espace cognitif et poétique de l’artiste est approprié par le récit [de voyage]. Une chose sort d’une autre. Un assemblage d’emblèmes, de motifs, toujours les mêmes et toujours transformés par le mouvement [du dessin et du récit], circonscrit un territoire d’écriture.
Un espace de quelques pages dessinées et écrites par des astres indéterminés, des particules indéfinies, des corps privés de sens et quatre arobases* allant d’un bout de l’univers àl’autre, rendent visible un mouvement àla fois excentré et central, un mouvement de la vie.

[*Une “arobase†est un objet mental relié sur lui-même (et parfois sur nous-mêmes).]

Anne-Marie Durou sur remue.net
Une forme corallienne
Trois pages d’un livre en tissu lavable
Trois noms malléables au travail


un dispositif d’espace fictionnel
dessins, Anne-Marie Durou/textes, Catherine Pomparat

Tu y vas,
àla première heure.
« Â Où vas-tu ?  »
Tu indiques du doigt le bas
« Â Ã la cave ?
Non, plus bas. »

Tu humes l’air,
la boule est une boule àcris.

« Â Vertige !  »
Tu caresses du bout du doigt le bas
« Â de la boule ?
Non, moins bas. »

Une deuxième boule te colle àla peau.

Tu glisses,
àla limite de ta conscience.
« Â Que fais-tu ?  »
Tu dessines du doigt quatre courbes
« Â des parenthèses ?
Non, des morceaux d’horloge.  »

Tu ne fais plus rien,
Atmos met la pression.

« Â Alerte !  »
Tu agrandis d’un souffle l’entrée
« Â d’oxygène ?
Non, des atomes du temps.  »

Une arobase indifférente au singulier et au pluriel affole les accords.

Tu regardes,
àla lumière réelle.
« Â Comme ça ?  »
Tu lèves le bras gauche, tu baisses le bras droit, 
« Â un vote ?
Non, une agitation.  »

Tu ris,
la fantaisie d’Atmos te fait rire.

« Â Pas de panique !  »
Tu tournes autour d’un invariant
« Â répétition ?
Non, transmutation.  »

Tu voyages au centre de la quatrième arobase.

Tu imagines,
au croisement du dessin et de l’écrit.
« Â Dans le vif du sujet ?  »
Tu ouvres les conduits de la source
« Â une inondation ?
Non, une main de lecture.  »

Tu testes la contamination,
les poils d’Atmos sont urticants.

« Â Pitié, toi !  »
Tu repousses la fragilité de la tige
« Â du polype ?
Non, de la fleur de marécage.  »

Tu considères ce qui se passe comme un commencement.

Tu tautologues,
au centre.
« Â C’est vrai ça ?  »
Tu manipules l’élasticité des fibres
« une peau tendue ?
Non, une étendue.  »

Tu saisis toutes les nuances,
le Memento Mori d’Atmos est noir.

« Â Ah, ce n’est pas crâne !  »
Tu ne veux pas voir ça
« Â la mort ? 
Non, la boule pendue. »

Tu fais la manche et termine tes derniers jours.

Je ressasse le point de départ
où tu montres du doigt la cave.

Il faut descendre un point c’est tout.

Je mesure l’espace
àla petitesse de mon souffle.

Les arobases gagnent l’étendue,
àla moindre poussière noire, je tousse.

« Â Ouvrez ! Je manque d’air…  »

Deux arobases l’une sur l’autre
déploient leur vie secrète.

La force de mon cri déplace le centre.

J’aplatis la surface de la veine noire
où tu lèves la main.

Il faut modifier la forme un point c’est tout.

Je mesure le geste
àla hauteur de mon appui.

Les nervures bifurquent,
au moindre cahot, je m’innerve de traits.

« Â Ouvrez ! Je perds le fil…  »

Une arobase enlace une autre arobase
le temps qui reste est compté.

Je suis àune limite du monde.

Je m’enfonce dans la quadruple boule
où l’action est réalisée.

Il faut relier les câbles un point c’est tout.

Je mesure un point d’ébullition
au niveau quatre de la conversation.

Les têtes se prennent au jeu,
au moindre trait, elles parlent ensemble.

« Â Ouvrez ! J’ai quelque chose àvous dire…  »

Des effluves expirent loin du centre
des matières se dissocient par à-coups.

Mon câble amputé remue le quadrige.

Je me cambre dans la feuillure
où les boules changent de sens.

Il faut encastrer le chambranle un point c’est tout.

Je mesure les lamelles du pli central
àla puissance de la pliure.

La matière repose sur la parole,
àla moindre fronce, le verbe est àl’impératif.

« Â Ouvrez ! Je n’ai plus de mots …  »

Ma langue devient ductile,
le poème courbe avec le dessin.

Une arobase va d’un bout de l’univers àl’autre.

Je m’enfonce sans préméditation
où l’ombre me porte.

Il faut se détacher du passé un point c’est tout.

Je mesure le pont des tribulations
àla ductilité de deux rampes.

La terminaison du passage àl’acte varie,
au moindre changement placentaire, je suce mon pouce.

« Â Ouvrez ! c’est le moment…  »

D’un coup du sort
les arobases font diverses choses.

Le corps sans organe d’Atmos modifie ma surface sensible

Nous avons beau nous recroqueviller,
nous rouler en boule,
nous dissimuler sous le tissu,
le centre nous pénètre.

C’est làque nous allons.

La lumière jaunâtre épand des effiloches tout autour de nous.

Nous cherchons de l’aide.

Nous parvenons àsortir de notre peur.
Nous appelons.
Atmos vient.

Qu’est-ce qu’il y a encore ?
Nous avons oublié d’arrêter le temps.

Nous avons beau nous glisser entre les parois,
nous insérer dans les contours,
nous faufiler sous la texture,
un fil résiste.

C’est la périphérie du centre de la boule.

Les pointes d’un cylindre percent une grille mouchetée.

Nous cherchons une faille.

Nous parvenons àsortir de notre hésitation.
Nous appelons.
Atmos vient.

Qu’est-ce qu’il y a encore ?
Nous avons oublié la boussole.

Nous avons beau ressentir le plaisir et la douleur,
discerner les liens entre le bien et le mal,
différencier le fond blanc de la forme noire,
la lumière est trop vive.

C’est un paysage surexposé.

Quelques hachures découpent la surface.

Nous sommes en conformité avec le fond.

Nous parvenons àsortir de notre indifférence.
Nous appelons.
Atmos vient.

Qu’est-ce qu’il y a encore ?
Notre avons oublié la forme de l’intention.

Nous avons beau charpenter nos désirs,
monter, descendre, parcourir,
traverser plusieurs éternités,
nous nous retirons en nous-mêmes.

C’est un voyage initiatique.

Notre langue-de-serpent est une pierre d’épreuve.

Nous décelons un poison.

Nous parvenons àsortir de notre doute.
Nous appelons.
Atmos vient.

Qu’est-ce qu’il y a encore ?
Nous avons oublié le viatique.

Nous avons beau retrouver
la sensation d’un corps réel,
notre quatrième arobase frémit,
haute tension sur toutes lignes.

C’est une acrobatie électrique.

Le centre n’est pas àdistance égale des bords.

Notre regard est de traviole.

Nous parvenons àsortir de notre déviation.
Nous appelons.
Atmos vient.

Qu’est-ce qu’il y a encore ?
Nous avons oublié notre arobase au centre.

26 juin 2011
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