Ailleurs, Partout : qui saura, alors ? (La pistache)
Ainsi on n’aura pas
vu le visage de Shahin
On aura
entendu la voix de ses vingt ans voix
de neige sur neige écran
À l’arrière-plan
à l’arrière-plan premier : sa voix grain principal
comme grain de l’image qui s’affole
et distend
Inapprochable est la peine de sa mère
Inapprochable
la douleur on ne peut pas la toucher
l’image fait
que je n’ai pas de doigts
La douleur à son pied elle perdure après les heures de marche
Douleur au cœur vidé par vide
de la rue d’Angleterre
Un interrogatoire fait masse
Basse continue sang froid
Il fait froid il le dit
et ce n’est pas seulement à cause du climat
Il fait froid sur l’écran
fragmente la marche des corps et disloque tout ce qui aurait pu le faire :
: le rythme d’une vie
Froid et parfois d’un seul coup réchauffement des couleurs
Vert incongru de ce champ
ou ai-je rêvé ?
Pistache
Comme un des personnages dit avoir rêvé
Shahin ?
C’est toujours en plongée
On aura tout du long
été en plongée vers l’attente et c’est normal
qu’on l’attende lui qui
tout de son long, attend.
En plongée pour capter
- lieu et place du regard - les échos de sa voix et de celle de sa mère
Sanglots éraillés par une bande impassante
mais qui passe tout de même
Point de lumière comme les pixels mille fois grossis et surdimensionnés
dans le temps de cette peine
s’allongent
L’épreuve de l’interrogatoire
Le souvenir à la question
Qu’ont-elles donc à faire là
les questions de l’interrogateur
incorporées durablement pendant que caméras de surveillances
font la ronde qu’elles savent faire
sans rondeur
et seulement par les angles
Parfois le tout petit
petit
petit personnage qui traverse ou qui guette
nous rassure
Il y a cet humain qui aura
échappé au carnage
La sonore capture des images aussi
par innombrable bips à vif
puis
Il y a ce trou dans le mur
vers le port
Un trou vers l’horizon
Le passé avalé en direct
Et un futur s’annonce
à mesure qu’à l’arrière
le temps réfugié
ne cesse déjà de se multiplier
C’est un irréel mate
Temps réfugié
Coupure nette
Saccade de plus
Un haut le cœur
avec des captures d’écran du film Ailleurs, Partoutde Vivianne Perelmuter et Isabelle Ingold (2021)
Merci à Vivianne Perelmuter et à Isabelle Ingold pour leur autorisation.