Anne Barbusse | Ma douleur planétaire

femme orpheline de mère et d’enfant, cela sonne

comme le verdict des roses, et les oiseaux circonscrits

s’en moquent avec juillet tremblant, les parasites vivent ou ne vivent pas

c’est selon, la matière de la terre est un mystère alliant soleil

et eau, parmi le potager tracé dans la débâcle

les conséquences

de la peste noire : fin du servage, revalorisation du travail paysan, forêts

qui se régénèrent, charlatans qui prospèrent, villes désertées

on observe

l’humanité des aéroports et des centres commerciaux, on fait

l’inventaire du silence et les roses apprivoisent les oiseaux

furtifs, cela fait si longtemps que je ne suis descendue dans la vallée

du Rhône et sur les routes intempestives, j’attends

les orages partagés qui inondent les jardins et les femmes

*

je n’ai pas l’âge de mes douleurs

si peu de voitures traversent maintenant le village

(dans la série française l’effondrement a commencé par des rayons vides au

supermarché de leurs rêves, puis des stations essence

dévalisées, des vieux mourant en Ehpad sans

plus de surveillance aucune, une île et un aérodrome

réservés aux riches fuyant les apocalypses de cinéma,

et la ferme où l’on tente potager et culture, sans oublier

la centrale nucléaire explosée)

cela ne s’effondre

pas en un jour et les oiseaux n’y ont aucun rôle

c’est une blessure de la biodiversité (mais les bêtes

nous pardonneront-elles), si les avions

s’arrêtaient pour toujours le ciel serait le terrain

de jeu des arbres, et les collapsologues fleuriraient

parmi les branches nues,

puis je partirai

à la guerre, sans visage, parmi les autoroutes et

je définirai un monde d’herbe et d’eau, un jardin-forêt fictif et frais

*

la pluie a façonné la boue

puis les oiseaux ont perdu leur voix

et le jardin s’est couché sous la nuit

tandis que j’ai posé mon corps sur la joue

de la terre et j’ai abdiqué du sommeil

et toutes les eaux se sont déversées sur le silence

ébréché de l’hiver, et j’ai écouté le pouls

du monde épuisé, dévalisé de toute aube franche

et le chant des pluies martèlent les tuiles

en buvant l’après-midi liquide

et nous avons pensées migrantes et crépusculaires

avec notre blessure asymptomatique

et une syntaxe plus pauvre que les jasmins

6 mars 2021
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