Benoît Artige | Figures libres, Henri Matisse
(Pour Sandra)
Il appelait “Angèle, Angèle” – il avait encore égaré ses ciseaux – et Angèle accourait aussitôt, enchantée de ce jeu entre eux deux : elle cherchait par terre, sur le dessus des meubles – “mais non, Angèle, ils ne peuvent pas être ici” – et elle en profitait pour faire les poussières, ranger les papiers en désordre - “Coco doit savoir où ils sont, lui qui observe tout” -, interrogeait le perroquet - et le Maître riait : “Allons, Angèle, cherchez encore.” Et pendant qu’Angèle cherchait, le Maître attrapait pêle-mêle avec ses doigts agiles la lumière, les formes, les couleurs, il taillait dans le vif les proies que son œil avait capturées : le sourire d’Angèle, le rouge de ses lèvres, la blancheur de ses dents, le vert acide du perroquet, la courbure de son bec, les ombres tranchées sec par les rayons du soleil, les fleurs du jardin qui débordaient du cadre de la fenêtre ouverte. Le Maître s’amusait comme un enfant : il avait enfin l’âge pour ça.