Benoît Artige | Figures libres, Umberto Eco
Lorsqu’il arrivait au Professeur Eco de devoir passer la nuit à l’hôtel, sa seule exigence était de disposer d’un spacieux cabinet de toilette car il ne se séparait jamais, même en voyage, de sa flûte à bec sur laquelle il s’ingéniait à vouloir interpréter une transcription des Suites pour violoncelle seul de Bach. Aucune autre acoustique, disait-il, ne trouvait grâce à ses yeux que celle, au moelleux vaporeux et flatteur, des salles de bain. Ce passe-temps pourtant inoffensif n’était pas, le plus souvent, du goût de ses voisins de chambre qui, réveillés aux aurores par des volées de double-croches, venaient tambouriner à sa porte, ne réussissant à obtenir du Professeur qu’un léger haussement d’épaules. C’est que tout en jouant, il se perdait dans des pensées d’une autre envergure que son interprétation pour le moins chaotique des œuvres du Cantor de Leipzig : la constitution, de par le monde, d’une société secrète de flûtistes prête à prendre le pouvoir.