Christophe Ségas | Sept pas
1.
Tu me dis les noms d’arbres
dont j’ignorais la singularité -
par anthropocentrisme.
Tu désignes les roches qui se croisent
dans les trames du temps long -
en nous-mêmes,
car les paysages ne sont rien,
sinon ce que notre œil en fait :
un instant de paix, ou un dédale mental.
Par-dessus tout, les nuages stagnent un peu.
Leurs ombres glissent, nous y posons le pied,
puis immédiatement : la frappe du soleil.
2.
Le plus souvent la chaleur accablante
me rappelle les étés torpides de l’enfance,
l’immobilité des forêts de pins,
l’ennui nauséeux.
Mais aujourd’hui j’avance à flanc de falaise,
au crible des martinets et des rapaces.
Dans les vasques, l’eau, l’as-tu remarqué ?
froide et limpide, reflète nos visages.
L’environnement a commencé d’infuser nos chairs,
nos os, nos attitudes.
Schiste et calcaire.
Nous sommes en train de devenir pierreux.
3.
Comme si nous avions passé un pacte
avec les forces atmosphériques,
afin qu’elle nous épargnent
tempêtes et nuages filasses.
4.
Après combien d’heures de marche
cessons nous de parcourir l’espace
pour commencer un arpentage intime -
où les pas sont devenus méditatifs,
où seul importe le rythme ?
Quant aux chênes verts, aux acacias,
aux genévriers rouges,
ramures confondues ils forment un écran
où se projettent nos pensées-flux.
5.
L’attention rivée sur les bas-côtés,
en quête de débris eidolomorphes :
végétaux, minéraux et artefacts délaissés.
Les mélanger, ensuite, pour faire surgir
des idées qui ne seraient jamais venues
sans la trituration de la matière.
6.
Bien que sur tes conseils je les aie cueillies sèches,
les baies d’asphodèle,
dont je voulais faire des yeux de fétiche,
ont commencé à pourrir dans ma poche.
Tant pis. Je ne les sertirai pas dans la pierre,
ni dans un fragment de métal rouillé,
ni dans une tête de bois.
Elles rejoindront, elles aussi, les déchets communs.
7.
Je cherche la terre.
Pas la planète et monde.
Je cherche la terre-minerai
pour la griffer, la retourner, la mastiquer.
Car je viens de là :
de ces pans de roches
éraillés jusqu’à la poussière.