Le contraire de la cendre

















Au milieu du meeting color block, une femme venue d’ailleurs en forme d’avalanche frappe à la porte, Toc Toc ce serait pour faire passer des voix.
Gratuitement ? Là comme ça là ?
Mais : des voix qui porteraient vers quoi ?
Vers un arrangement de nos peurs autour d’une broche, à épingler sur les revers. Oui ?
Allons-y c’est tentant c’est super. C’est par là.

Et nous nous rejoignons dans la pièce principale, celle dont la charpente de bois évoque une cépée de bouleaux échappés de la ligne rassurante d’un vieux bleu horizon.
On se rejoint et on se fait confiance.

Aussitôt on met nos capuches sur la tête et on parle.
Toutes les voix en une et une seule en toutes déclinaisons de cases, dont on aurait ôté les bordures. C’est ce que tu dis.
Je veux rentrer dans les cases. Je veux les remplir de couleurs.
Et tu as bien raison je trouve. Parlons-en. C’est ainsi qu’on se crée des cordes vocales comme des maillons. Pour des chaînes en coton d’effiloche. Ça remplace les coutures trop saillantes. C’est beau,
aussi.
Tout communique. Et des amis arrivent. Nous voilà tous ensemble nos mains se serrent sans trop de densité de peau. Ça reste très léger, comme une ronde de vapeur au milieu des fougères.











Tu poursuis. Je laisse passer les forces extérieures par mes trous. Ma structure est ajourée. Le vide m’habite. Je me laisse transpirer goutte à goutte à travers les trous.
Est-ce me dire que tu trembles encore sous ton lit, toi aussi, lorsque des courants te traversent ? Par floppées de phrases à force de te rendre si poreuse à la parole des autres ?
Tu dis que tu as peur et c’est pour ça je crois, que tu reconnais par les nerfs toutes ces craintes qui nous font les sourcils en bataille. Toutes les peurs de tout le monde, toutes leurs oscillations même aux plus basses fréquences.

Pourtant tu ne te roules pas dans la fange de la déploration.
Alors j’agis. Je fais. J’écris. C’est ça que tu prononces.
Tu te bouges. Tu n’inspires pas n’importe quelle forme d’ondes. Tu te laisses traverser et tu poses là un pacte, un protocole qui ne fait pas une liste d’ordres mais défait l’étau des sciences qui se disent positives, ou dures.
Toi plutôt tu proposes : parle-moi, et faisons front.
C’est Pour inscrire…. Je suis prêt à te faire confiance. C’est toi qui le dis.
Et c’est aussi Yacine, et Aude peut-être, et Awad.
Et ils te passent leurs mots et toi tu les inscris, je ne vois pas leurs visages sur les vidéos, moi je suis plongée directement par la caméra placée sur leur front, dans le tremblant arrangement de leur monde qui s’épelle à tatons.
Pourtant, parmi toutes les couleurs et les quatre dimensions je le vois prendre forme.
Et tout à coup j’entends
pour la première fois
assise dans le fauteuil de tout le monde personne.















… Je suis une surprise…. Il est possible de s’habituer à la surprise. Rencontrer une personne étrangère c’est surprenant. Certaines personnes ont du mal à s’habituer à la surprise. Elles ont du mal à s’habituer aux personnes. Oui. C’est surprenant. La surprise est un trou à l’intérieur d’une case. Et une case est peut-être une couleur à l’intérieur d’une personne très surprise. Mais aussi bien tu sais, personne
est étrangère.
Et moi aussi, vois-tu, à la couleur que je transpire en t’écoutant, je m’habitue.

Je triture. Je façonne des bouts de tissus bouillis pour en éliminer les polymères de trouille. Savais-tu que la peur on peut la faire bouillir à 30 ? Je serre les poings à fond, en crispé relâché, je me mets à mon tour à inscrire des couleurs dans tes cases sans contours. Parce qu’avec toi j’ai confiance et je n’ai plus besoin de formes descriptibles. Ça c’est le maintien de l’ordre.
Mais la vie est ailleurs.
Par exemple, tu vois là, Aude, est peut-être aussi rose que la rose est une rose, mais surtout, c’est une anguille sous roche. Car son destin m’échappe. Prend la couleur du sable. Comme le mien propre m’échappe et le tien à toi-même donc, qu’est-ce qu’on a tous à vouloir tout savoir tout le temps sur les autres ? Et quand tout finira et comment ?
On se surprise les uns les uns alors aimons-nous vivants, non ?

Les personnes étrangères s’invitent dans mes jours.
Je m’étrangère autant que faire.
C’est mieux ce peu. C’est comme ça.
Cela a quelque chose de très démocratique en somme.
Présentation collégiale de toutes les cases sans contour à l’intérieur de nous.
Pour tous les appels d’air : une chorale dissolvante.
Voir seulement les jours dans l’ouvrage au crochet, ça nous calme.

J’ai peur, tu prononces. Non plutôt non, moi j’ai des souvenirs de peur.
Mais ils s’agitent souvent. Mais
je m’y habitue. Et jour à jour j’écris par à plat dans la pièce à côté de la tienne.
Ce n’est plus le moment de se la jouer solo. Disparate.
Il nous faut revenir en forme de palette, comme peintres sans dimanche.
A-t-on le temps encore d’avoir de ces dimanches, dans un bleu horizon ?
Rance



















Il y a des champs de forces - Tu fais de la reliure de voix tu me passes les paroles - On s’en fait des capes de protection sans doublure - Pour entrer dans les cases Vas-y passe la première - Tu agis, je te suis - Toi par moi et retour - C’est ce que fait l’art quand on le mange avec les doigts - Pour t’inscrire dans ma surprise que je te pirograve fermement - Nous composons - C’est étrangère, donne-moi la main - Tu mets en feu la parole sur une toile - Je dépose le contraire de la cendre - On se surprise totale.

Dans le démocratique bureau de parlement, parmi couleurs on se dialogue - On se distance d’un peu plus près - Même si on s’entend pas toujours, bien, ça me rassure - Pour porter où nos voix ? - Je répète : pour porter où nos voix ? - Passe à ton voisin. C’est le moment.
On y va, là.
On se rejoint dans la cour neuve.
C’est l’unique pièce où tous ensemble.
En balbutiant nous bougeons les murs. B B B Bouh
C’est eux qui sont frêles c’est pas nous. Ils ont des costumes bien trop sombres.
Mais nous, nous apposons nos mains sur des murs faits de ce bois qui parfois
forme des yeux de chiens.
On ne se perd pas de vue.
Le violet te va bien, car
tu le portes presque rouge.
Ça ne m’étonne guère, ce n’est pas une rature je n’ai pas la bévue.
On met une bouche bien devant l’autre.
On s’espérise.
Tout ça est bien parti.
On progresse.
Pour parvenir enfin
vers une forme d’isoloir éclairé par une boule à facettes.

Ah mince.

Elles sont toutes noires fluo.

Mais on fait cercle autour avec nos casques sur les oreilles qui nous font bien entendre toujours écoute
le bruit de la mer mêlé à celui de la foule qui réécrit le pronostique.
Une main sur le cœur et l’autre comme tendue vers le temps des cerises

on s’entend chantonner

que tout n’est pas perdu.




Avec des prises de vue de Paroles chaudes, Capes-mentales et
Opaque à l’intérieur, transparente à l’extérieur (2022), de Carla Adra, dans le cadre de l’exposition collective "Toucher l’insensé", Palais de Tokyo (Paris), 16.02.24 – 30.06.24.
Courtesy de l’artiste et de la Galerie Valeria Cetraro, Paris.

27 juin 2024
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